Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/794

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

constamment. Il ne réfléchit pas sur les qualités qu’il peut avoir, mais laisse à autrui le soin de les constater, ne s’attribuant pas ce qui est don de la nature. Il est bienveillant pour les hommes, pas par affection, mais par instinct, et ne prétend pas à leur reconnaissance.


C.   Quand, après une longue absence, un homme est revenu dans sa patrie, il éprouve un sentiment de satisfaction, que ni la vue des tombes qui se sont multipliées, ni les ruines que la végétation envahit, ni la disparition des neuf dixièmes de ses connaissances, ne peuvent altérer. C’est qu’il revoit en esprit ce qui fut jadis, abstrayant de ce qui est. C’est qu’il s’élève haut au-dessus des circonstances actuelles. — Ainsi fait le Sage, impassible parmi les vicissitudes du monde, contemplant en elles la nature inaltérable. — Ainsi fit le souverain légendaire Jan-siang. Il se tenait indifférent, au centre du cercle tournant des choses de ce monde, laissant aller l’évolution éternelle et indivise, lui seul restant non transformé (à cause de son indifférence) dans la transformation universelle. Cette position est unique. — Il ne faut pas vouloir imiter le ciel (à la manière de Confucius) par des actes positifs. Il faut imiter le ciel en laissant aller toutes choses. Voilà la manière dont le Sage sert l’humanité. Il abstrait de tout, et suit son époque, sans défaut et sans excès. Voilà l’union avec le Principe, la passive, la seule possible. Chercher l’union active, c’est tenter l’impossible[1]. Le ministre de l’empereur T’ang, considéra sa charge plutôt comme honoraire. Il laissa aller toutes choses, et se garda soigneusement d’appliquer les lois. Cela fit le succès de son gouvernement. Maintenant, au contraire, Confucius voudrait qu’on examinât à fond chaque chose, et qu’on fit de nombreux règlements. Il oublie la parole si vraie de Joung-tch’eng (un ancien taoïste) : additionner les jours en années, supposer une substance sous les accidents, ce sont là des erreurs provenant d’une conception fictive de la nature du temps, des êtres. La réalité, c’est un présent éternel, une unité essentielle. La glose ajoute, il n’y a même pas de moi et de toi.


D.   Le roi de Wei avait conclu un traité avec celui de Ts’i. Ce dernier l’ayant violé, le roi de Wei furieux résolut de le faire assassiner par un sicaire (procédé usuel alors). — Koungsounn-yen, son ministre de la guerre, lui dit : Vous qui avez dix mille chariots de guerre, vous allez confier votre vengeance à un vil spadassin. Donnez-moi plutôt deux cent mille hommes. Je ravagerai le pays de Ts’i, j’assiégerai son roi dans sa capitale, je le tuerai dans sa défaite. Ce sera noble et complet. — Le ministre Ki-tzeu trouva l’avis mauvais et dit au roi : Ne provoquez pas Ts’i. Nous venons de bâtir un si beau rempart. S’il venait à être endommagé, cela ferait de la peine aux citoyens qui y ont travaillé. La paix est la base solide du pouvoir. Le ministre de la guerre est un brouillon, qui ne doit pas être écouté. — Le ministre Hoa-tzeu (taoïste) trouva les deux avis également mauvais, et dit au roi : Celui qui, pour avoir l’occasion de montrer son talent militaire, vous a conseillé la guerre, est un brouillon. Celui qui, pour faire montre d’éloquence, vous a conseillé la paix, est aussi un brouillon. Leurs deux avis se valent. — Mais alors, que ferai-je ? demanda le roi. — Méditez sur le Principe, dit Hoa-tzeu, et tirez la conclusion[2]. — Le roi n’aboutissant pas, Hoei-tzeu lui amena Tai-tsinnjenn, un sophiste de ses amis. Celui ci entra en matière

  1. Ici le texte est mutilé, probablement.
  2. Ni guerre, ni paix, mais laisser aller.