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Chap. 27. Verbe et mots.

A.   De mes paroles, dit Tchoang-tzeu[1], beaucoup sont des allégories, beaucoup sont des relations de discours d’autrui. J’ai dit, au jour le jour, ce que je croyais bon à dire, selon mon sens naturel. — J’ai employé des allégories empruntées aux objets extérieurs, pour faire comprendre des choses abstraites. Je ne dirai pas qu’elles sont toutes parfaites, un père ne devant pas faire l’éloge de son enfant. La louange ne vaut que quand elle vient d’un tiers. Cependant je les crois aptes à convaincre. Tant pis pour ceux qu’elles ne convaincront pas. — J’ai rapporté des discours d’autrui, afin de mettre bien au jour certaines controverses ; ceux qui discutent étant enclins à faire grand cas de la thèse de leur parti, et à trop ignorer celle du parti adverse. Les hommes que j’ai cités ainsi, ce sont mes anciens, mes devanciers. Non que je considère tout ancien comme une autorité. Bien loin de là ! Celui qui n’a pas été jusqu’au fond des choses, quelque ancien qu’il soit, il n’est pas à mes yeux une autorité, il ne devrait pas à mon avis avoir d’influence. Ce peut être un conteur de choses anciennes (Confucius), ce n’est pas un maître ès choses anciennes. — J’ai parlé sans art, naturellement, suivant l’impulsion de mon sens intime ; car seules ces paroles là plaisent et durent. En effet, préalablement à tous les discours, il préexiste une harmonie innée dans tous les êtres, leur nature. Du fait de cette harmonie préexistante, mon verbe, s’il est naturel, fera vibrer celui des autres, avec peu ou pas de paroles. De là les axiomes connus : Il est un verbe sans paroles… Il n’est parfois pas besoin de paroles… Certains ont parlé toute leur vie sans rien dire… Certains, qui se sont tus durant toute leur vie, ont beaucoup parlé. — Au même sens naturel se rattache le fait d’expérience, que tous les hommes perçoivent spontanément si une chose convient ou non, si c’est ainsi ou pas ainsi. Cette perception ne peut pas s’expliquer autrement. C’est ainsi, parce que c’est ainsi ; ce n’est pas ainsi, parce que ce n’est pas ainsi. Cela convient, parce que cela convient ; cela ne convient pas, parce que cela ne convient pas. Tout homme est doué de ce sens d’approbation et de réprobation. Il vibre à l’unisson dans tous les hommes. Les paroles qui lui sont conformes sont acceptées parce que consonantes, et durent parce que naturelles. — Et d’où vient cette unité du sens naturel ? Elle vient de l’unité de toutes les natures. Sous les distinctions spécifiques et individuelles multiples, sous les transformations innombrables et incessantes, au fond de l’évolution circulaire sans commencement ni fin, se cache une loi, qu’on a appelé la roue (de potier) naturelle, ou simplement la nature (une, participée par tous les êtres, dans lesquels cette participation commune produit un fond d’harmonie commun).


B.   Tchoang-tzeu dit à Hoei-tzeu : Dans sa soixantième année, Confucius se convertit. Il nia ce qu’il avait affirmé jusque là (la bonté et l’équité

  1. Certains critiques voient, dans ce paragraphe, la préface ou la postface de l’œuvre de Tchoang-tseu, égarée ici.