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cigale, comme la peau dont le serpent s’est dépouillé, un accessoire, une chose n’ayant pas d’existence propre. Je suis même moins réelle que ces objets. À la lumière du jour ou du feu, je parais, dès que la lumière baisse, je disparais. Je dépends, quant à mon être, d’un objet, lequel dépend, quant à son être, de l’être universel. Quand il paraît, je parais aussi ; quand il disparaît, je disparais aussi ; quand il se meurt, je me meurs avec lui. Je ne puis pas vous rendre compte de mes mouvements. — Ainsi tout est passif, existant par le Principe dépendant du Principe. Sachant cela, le disciple de la sagesse doit être avant tout profondément humble[1].


F.   Yang-tzeukiu allant à Pei, et Lao-tzeu à Ts’inn, les deux se rencontrèrent à Leang. Choqué de l’air vaniteux de Yang-tzeukiu, Lao-tzeu leva les yeux au ciel et dit en soupirant : je crois qu’il n’y a pas lieu de perdre mon temps à vous instruire. — Yang-tzeukiu ne répondit pas. Quand ils furent arrivés à l’étape, Yang-tzeukiu apporta d’abord lui-même à Lao-tzeu tout ce qu’il fallait pour la toilette. Ensuite, ayant quitté ses chaussures devant la porte, il s’avança sur ses genoux jusque devant lui, et lui dit : Il y a longtemps que je désire vivement recevoir vos instructions. Je n’ai pas osé vous arrêter sur le chemin, pour vous les demander ; mais maintenant que vous avez quelque loisir, veuillez me dire d’abord le sens de ce que vous avez dit à ma vue. — Lao-tzeu dit : Vous avez le regard hautain à faire enfuir les gens ; tandis que le disciple de la sagesse est comme confus, quelque irréprochable qu’il soit, et sent son insuffisance, quelque avancé qu’il soit. — Très frappé, Yang-tzeukiu dit : Je profiterai de votre leçon. — Il en profita si bien, et devint si humble dans l’espace de la seule nuit qu’il passa à l’auberge, que tous les gens de la maison, qui l’avaient servi avec crainte et révérence à son arrivée, n’eurent plus aucun égard pour lui avant son départ, (l’égard se proportionnant en Chine à l’insolence du voyageur)[2].


Chap. 28. Indépendance[3].

A.   Yao ayant voulu céder son trône à Hu-You, celui-ci refusa. Alors Yao l’offrit à Tzeu-tcheou-tcheu-fou, lequel refusa aussi, non qu’il se crût incapable, mais parce qu’il souffrait d’une atrabile, que les soucis du gouvernement auraient aggravée. Il préféra le soin de sa vie au soin de l’empire. Combien plus aurait-il préféré le soin de sa vie à des soins moindres ? — À son tour, Chounn offrit son trône à Tzeu-tcheou-tcheu-pai. Celui ci refusa sous prétexte d’une mélancolie, que les soucis aggraveraient. Bien sûr qu’il n’aurait pas nui à sa vie, pour chose moindre. Voilà comme les disciples du

  1. Comparer Tchoang-tzeu chap. 2 I.
  2. Comparer Lie-tzeu chap. 2 N.
  3. Des doutes planent sur l'authenticité de ce chapitre.