Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/832

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à Tchee : Etant l’ami de votre frère, je désire être reçu dans votre tente. — L’homme de garde ayant averti Tchee : Qu’il vienne ! dit celui ci. — Confucius ne se le fit pas dire deux fois. Il avança vite, alla droit à Tchee, qu’il aborda en le saluant. — Au comble de la fureur, Tchee étendit ses deux jambes, plaça son épée en travers, braqua ses yeux sur Confucius, et, avec le ton d’une tigresse dérangée pendant qu’elle allaitait ses petits, il dit : Prends garde K'iou ! Si tu dis des choses qui me plaisent, tu vivras ! Si tu dis quoi que ce soit qui me déplaise, tu mourras ! — Confucius dit : Trois qualités sont surtout prisées des hommes ; une belle prestance ; une grande intelligence ; enfin la valeur militaire. Quiconque possède à un degré éminent une seule de ces trois qualités, est digne de commander aux hommes. Or, général, je constate que vous les possédez éminemment toutes les trois. Vous avez huit pieds deux pouces, vos yeux sont brillants, vos lèvres sont vermeilles, vos dents sont blanches comme des cauris, votre voix est sonore comme le son d’une cloche ; et un homme qui réunit toutes ces qualités, on l’appelle le brigand Tchee ! Général, j’en suis indigné !.. Si vous vouliez me prendre pour conseiller, j’emploierais mon crédit pour vous gagner la faveur de tous les princes avoisinants ; je ferais bâtir une grande ville, pour être votre capitale ; je ferais réunir des centaines de milliers d’hommes, pour être vos sujets ; je ferais de vous un prince feudataire puissant et respecté. Général, croyez moi, rendez la vie à l’empire, cessez de guerroyer, licenciez vos soldats, afin que les familles vaquent en paix à leur subsistance et aux offrandes des ancêtres. Suivez mon conseil, et vous acquerrez la réputation d’un Sage et d’un Brave ; tout l’empire vous applaudira. — Toujours furieux, Tchee répondit : Viens çà, K’iou, et sache qu’on n’embabouine que les petits esprits. Avais je besoin de toi pour m’apprendre, que le corps que mes parents m’ont donné, est bien fait ? Crois tu que tes compliments me touchent, moi qui sais que tu me dénigreras ailleurs plus que tu ne m’as flatté ici ? Et puis, l’appât chimérique avec lequel tu veux me prendre, est vraiment par trop grossier. Mais supposons que j’obtienne ce que tu m’as promis, combien de temps le garderai je ? L’empire n’a-t-il pas échappé aux descendants de Yao et de Chounn, la postérité des empereurs T’ang et Ou n’est elle pas éteinte, précisément parce que leurs ancêtres leur avaient laissé un patrimoine très riche et par suite très convoité ? Le pouvoir ne dure pas, et le bonheur ne consiste pas, comme toi et les politiciens les semblables voudraient le faire croire, dans cette chose là. Au commencement il y avait beaucoup d’animaux et peu d’hommes. Durant le jour, ceux-ci recueillaient des glands et des châtaignes ; durant la nuit, ils se réfugiaient, sur les arbres, par peur des bêtes sauvages. Ce fut là la période dite des nids. ... Puis vint l’âge des cavernes, durant lequel les hommes encore nus, ramassaient du combustible en été, pour se chauffer en hiver, première manifestation du soin pour l’entretien de la vie. ... Puis vint l’âge de Chenn-noung, le premier agriculteur, âge de l’absolu sans souci. Les hommes ne connaissaient que leur mère, pas leur père (pas de mariage). Ils vivaient en paix, avec les élans et les cerfs. Ils cultivaient assez pour manger, et filaient assez pour s’habiller. Personne ne faisait de tort à autrui. Ce fut là l’âge, où tout suivit son cours naturel, en perfection. ... Hoang-ti mit fin à cet heureux âge. Le premier, il s’arrogea le pouvoir impérial, fit la guerre, livra bataille à Tch’eu-you dans la plaine de Tchouo-lou, versa le sang sur un espace de cent stades (en poursuivant les vaincus). Puis Yao et Chounn inventèrent les ministres d’État et le rouage