Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/866

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trompèrent dans la pratique. L’obligation qu’ils imposèrent à tous de se dévouer et de se sacrifier à l’extrême, aurait produit, si elle avait trouvé écho, quelque chose de supérieur au vil égoïsme, mais d’inférieur au système naturel (ne rien faire et laisser faire). Cependant, honneur à Mei-ti ! Ce fut le meilleur homme de l’empire. Quoique ses efforts soient restés stériles, son nom n’est pas à oublier. Ce fut un lettré de talent.


C.   Parlons maintenant de l’école de Song-hing et de Yinn-wenn. ... Mépriser les préjugés vulgaires, éviter tout luxe, n’offenser personne, maintenir la paix pour le bonheur du peuple, ne pas posséder plus qu’il ne faut, se tenir l’esprit et le cœur libres, tout cela, les anciens le firent et le dirent. Song-hing et Yinn-wenn firent de ces maximes le fondement d’un école nouvelle, dont les disciples se coiffent d’un bonnet de forme spéciale, pour se faire reconnaître. Ils traitèrent avec aménité tous les hommes quels qu’ils fussent, estimant que le support mutuel est le plus noble de tous les actes moraux. Cette conduite aurait pour effet, pensèrent-ils, de gagner tous les hommes et d’en faire des frères, ce qui fut leur but principal. Ils acceptaient tous les outrages. Ils cherchaient à apaiser toutes les disputes. Ils maudissaient toute violence, surtout l’usage des armes. Apôtres du pacifisme, ils allaient le prêchant partout, reprenant les grands et endoctrinant les petits. Rebutés, ils ne se décourageaient pas. Éconduits, ils revenaient à la charge, et finissaient, à force d’importunités, par obtenir qu’on les écoutât. — Dans tout cela, il y eut du bon sans doute, mais aussi de l’erreur. Ces hommes généreux s’oublièrent trop eux-mêmes, pour l’amour du prochain. Pour prix de leurs services, ils n’acceptaient que leur nourriture de ceux qui jugeaient qu’ils l’avaient gagnée. Le résultat fut que les maîtres de la secte durent jeûner plus que souvent. Cela n’effrayait pas leurs jeunes disciples, qui s’excitaient au dévouement pour le bien commun, en se disant : la vie est-elle chose si précieuse ? pourquoi ne sacrifierais-je pas la mienne, comme mon maître, pour le salut du monde ?.. Braves gens, ils ne critiquaient personne, ne faisaient de tort à personne, ne méprisaient que les égoïstes qui ne faisaient rien pour le bien public. Non seulement ils interdisaient la guerre, mais, s’élevant plus haut, ils en découvraient la cause dans les appétits et les convoitises, le remède dans la tempérance et l’abnégation. Mais ils s’arrêtèrent là, et ne surent pas, dans leurs spéculations, s’élever jusqu’au Principe (de ces justes déductions). Ce furent des taoïstes avortés.


D.   Parlons maintenant de l’école de P’eng-mong, T’ien-ping, Chenn-tao, et autres. ... L’impartialité, l’altruisme, la patience, la condescendance, la tranquillité d’esprit, l’indifférence pour la science, la charité pour tous les partis, tout cela les anciens le pratiquèrent. P’eng-mong et ses disciples firent de ces maximes le fond de leur doctrine. Ils posèrent, comme premier principe, l’union universelle. Chacun, dirent-ils, a besoin des autres. Le ciel couvre, mais il ne porte pas ; il faut donc que la terre l’aide. La terre porte, mais elle ne couvre pas ; il faut donc que le ciel l’aide. Aucun être ne se suffit, et ne suffit à tout. A l’instar du ciel et de la terre, la grande doctrine doit tout embrasser et ne rien exclure. Accord, par accommodation et tolérance mutuelles.Chenn-tao déclara donc la guerre à tout égoïsme, à tout esprit particulier, à toute coercition d’autrui. Il exigea, dans les relations, l’abnégation parfaite. Il déclara que toute science est chose inutile et dangereuse.