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XV

LE SONGE.

(1819.)


C’était le matin, et à travers les volets fermés, par le balcon, le soleil insinuait dans ma chambre sombre sa première blancheur, quand, au moment où le soleil plus léger et plus suave ferme les paupières, se dressa près de moi et me regarda au visage le fantôme de celle qui la première m’enseigna l’amour, puis me laissa dans les larmes. Elle ne semblait pas morte, mais triste, et telle que nous paraissent les malheureux. Elle approcha sa droite de ma tête, et, soupirant : « Tu vis, me dit-elle, et tu ne conserves aucun souvenir de nous ? — D’où, répondis-je, et comment viens-tu, chère beauté ? Combien, ah ! combien j’ai souffert et je souffre à ton sujet. Je ne croyais pas que tu dusses l’apprendre et cela rendait ma douleur plus inconsolable. Mais vas-tu me laisser une seconde fois ? J’en ai grand’peur. Or dis-moi : que t’advint-il ? Es-tu celle d’autrefois ? Et quelle destruction intérieure as-tu subie ? — L’oubli obscurcit tes