Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la vie, comme le propose Maupertuis, je voudrais que nous pussions l’accélérer assez pour qu’elle se réduisît à la mesure de celle de certains insectes, nommés éphémères, dont on dit que les plus vieux ne passent pas l’âge d’un jour, et néanmoins meurent bisaïeux et trisaïeux. J’estime qu’alors nous n’aurions pas le temps de nous ennuyer. Que penses-tu de ce raisonnement ?

Le physicien.

Je pense qu’il ne me persuade pas, et que, si tu aimes la métaphysique, je m’attache à la physique. Je veux dire que si tu regardes les choses subtilement, je les regarde en gros et je m’en contente. Aussi, sans prendre en main le microscope, je juge que la vie est plus belle que la mort, et je lui donne la pomme, en les laissant toutes deux vêtues.

Le métaphysicien.

Ainsi jugé-je, moi aussi. Mais quand je me rappelle la coutume de ces barbares qui, pour chaque jour malheureux de leur vie, jetaient dans un carquois une pierre noire, et, pour chaque jour heureux, une pierre blanche, je pense à la petite quantité de pierres blanches et à la grande quantité de noires qui devaient se trouver dans ces carquois à la mort de chacun de ces hommes. Et je désire voir devant moi toutes les pierres des