Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un pauvre vieillard blanc, infirme, à demi-vêtu et sans chaussures, avec un lourd fardeau sur les épaules, court à travers les montagnes et les vallées, parmi les rochers aigus, le sable profond, les broussailles, au vent, à la tempête, quand l’heure est brûlante et quand il gèle ; il court haletant, il passe les torrents et les étangs, tombe, se relève et se hâte toujours davantage, sans arrêt, sans repos, déchiré, sanglant, jusqu’à ce qu’il arrive au terme de sa route et de tant de fatigue, à un abîme horrible, immense, où il se précipite et oublie tout. Lune vierge, telle est la vie mortelle.

L’homme naît à regret et la naissance est un risque de mort. La première impression qu’il ressent est de la peine et de la souffrance ; et dès le commencement sa mère et son père entreprennent de le consoler d’être né. Puis, quand il grandit, tous deux le soutiennent, et désormais tous leurs actes et toutes leurs paroles tendent à lui donner du cœur et à le consoler de la condition humaine : c’est le meilleur service que les parents rendent à leurs enfants. Mais pourquoi mettre à la lumière, pourquoi guider dans la vie celui qu’il faut plus tard consoler de la vie ? Si la vie est un malheur, pourquoi dure-t-elle par notre fait ? Lune virginale, tel est l’état mortel. Mais tu n’es pas mortelle, et peut-être n’as-tu guère souci de mon dire ?

Toi cependant, solitaire, éternelle voyageuse, toi si pensive, tu comprends peut-être ce qu’est