Maintenant, qu’il soit bien dit une fois de plus que, dans cette
protestation, aucune hostilité ne nous anime. Il nous aurait été
doux de voir le grand homme poursuivre paisiblement sa carrière.
La décadence même de son talent n’est pas le motif qui nous guide,
c’est l’anomalie compromettante de cette décadence. Il est des
compromissions impossibles : le titre de naturaliste, spontanément
accolé à tout livre puisé dans la réalité, ne peut plus nous convenir.
Nous ferions bravement face à toute persécution pour défendre une
cause juste ; nous refusons de participer à une dégénérescence
inavouable.
C’est le malheur des hommes qui représentent une doctrine, qu’il
devient impossible de les épargner le jour où ils compromettent cette
doctrine. Puis, que ne pourrait-on dire à Zola, qui a donné tant
d’exemples de franchise, même brutale ? N’a-t-il pas chanté le
struggle for life, et le struggle sous sa forme niaise,
incompatible avec les instincts d’une haute race, le struggle
autorisant les attaques violentes ? « Je suis une force », criait-il,
écrasant amis et ennemis, bouchant aux survenants la brèche qu’il
avait lui-même ouverte.
Pour nous, nous repoussons l’idée d’irrespect, pleins d’admiration
pour le talent immense qu’a souvent déployé l’homme. Mais est-ce
notre faute si la formule célèbre : « un coin de nature vu à travers un
tempérament » se transforme, à l’égard de Zola, en « un coin de nature
vu à travers un sensorium morbide », et si nous avons le devoir de
porter la hache dans ses œuvres ? Il faut que le jugement public fasse
balle sur la Terre, et ne s’éparpille pas, en décharge de petit
plomb, sur les livres sincères de demain.
Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse,
de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une
tenue et une dignité, en face d’une littérature sans noblesse, que
nous protestions au nom d’ambitions saines et viriles, au nom de notre
culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l'Art !
PAUL BONNETAIN, J.-H. ROSNY, LUCIEN DESGAVES, PAUL MARGUERITTE,
GUSTAVE GUICHES.
C’était une réclame imprévue autant qu’audacieuse, ce manifeste. Enchantés
de la publicité du Figaro que
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