Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/88

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de son tempérament généralisateur. Il imaginait grand. Bien que produisant seulement, à cette époque, des contes rimés d’après Musset, Paolo, Rodolpho, l’Aérienne, il rêvait d’un vaste poème, cycle de l’humanité. Le titre était : la Chaîne des Êtres. Sous cette formule abstraite, vaguement mystique, faisant songer à quelque divagation philosophico poétique, évoquant les œuvres nébuleuses d’Edgar Quinet ou de Pierre Leroux, qu’il n’avait d’ailleurs probablement jamais lues, il voulait chanter la Création et ses développements. Trois chants divisaient l’œuvre, intitulés : le Passé, le Présent, le Futur. Dans le Passé, il dépeignait le chaos, les convulsions de l’univers primitif, les bouleversements géologiques, les cataclysmes neptuniens et plutoniens. Il eût mis les découvertes scientifiques modernes à contribution. Le second chant, le Présent, c’était l’histoire de l’homme, pris à l’état sauvage, et raconté jusqu’à l’actuelle civilisation. La physiologie et la psychologie auraient fourni les éléments de ce chant. Dans le Futur, il célébrait l’avenir meilleur et l’être plus parfait. Avec Charles Fourier, il admettait le progrès, non seulement moral, mais physique. La créature actuelle ne pouvait être le dernier mot du Créateur. Il n’était pas possible que la formation des êtres fût achevée, et que la création eût atteint son dernier échelon. La science, qui constate l’évolution et le transformisme continus des corps de la nature, car, sous nos yeux même, il s’accomplit des cataclysmes lents qui nous échappent en partie, n’aurait pu que ratifier, au moins dans son principe, la vraisemblance de cette hypothèse pratique. C’était là une rude tâche, et une ambition peut-être extravagante. Mais l’audace était intéressante. Probablement, s’il eût écrit ce poème gigantesque, l’auteur