Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/246

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meurtre des généraux Lecomte et Clément Thomas, comme l’exécution des otages et le massacre de la rue Haxo, tous faits fâcheux, mais accidentels, dont l’interprétation erronée a jusqu’ici faussé l’opinion.

On venait, après le défilé et les saluts d’un bataillon, le 228e, d’entendre un orateur, plutôt grotesque, l’ex-instituteur Théophore Budaille, sorte d’illuminé, que ses excentricités déclamatoires avaient fait soupçonner, sous l’empire, d’être un agent provocateur. Budaille, avec sa physionomie d’apôtre et ses gestes d’énergumène, au pied de la colonne, achevait de flétrir le gouvernement du 4 septembre, l’accusant d’avoir trahi, quand une clameur grossissante, venue du côté de la rue Saint-Antoine, couvrit sa voix, brusqua sa péroraison. Une foule surexcitée escortait, traînait, poussait un homme, en costume bourgeois, ayant l’air d’un employé, dont le chapeau avait été enlevé ; sa nuque déjà portait des marques sanglantes. Il avançait lentement sous les huées, les menaces, les coups. Charrié par le courant humain déferlant de toutes les rues avec fureur, l’homme était chaviré, comme une épave. Il atteignit ainsi l’entourage de la colonne. Il se cramponnait à la grille, comme à une branche l’homme qui se noie. Deux chasseurs à pied le prirent au collet, l’arrachèrent plutôt qu’ils ne l’emmenèrent. La foule, de plus en plus grossie, criait : « À l’eau ! c’est un mouchard ! » Cent bouches furieuses répétaient ce cri de mort. Il est probable, il est certain, que bien peu parmi ceux qui réclamaient la mise à l’eau de ce malheureux savaient s’il était réellement un mouchard, comme on le hurlait. La foule est simiesque et crédule. Elle accuse, répète et imite, sans s’occuper de vérifier. Il paraîtrait que cet homme faisait véritablement partie du personnel de la préfecture. Il se nommait Vicenzini, selon les uns, Lambquin, selon les autres. Il avait servi dans la police sous l’empire.