Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/297

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violente ; le calme se rétablirait instantanément, et toute chance d’émeute s’évanouirait encore : la société n’aurait pas davantage besoin de sauveur. Le dilemme était clair : si les canons étaient cédés pacifiquement, comme s’ils étaient enlevés d’autorité, mais sans effusion de sang, le plan ratait. Il fallait qu’il y eût bataille.

La lutte n’apparaissait pourtant ni aussi inévitable, ni, si elle se produisait, comme devant être aussi furieuse que le désirait M. Thiers. Les canons, les forteresses improvisées sur les hauteurs, les préparatifs de combat à Montmartre ou à Belleville, tout ce sombre programme de guerre civile, n’existait guère alors que dans l’imagination de quelques exaltés, et dans les récits exagérés des journaux réactionnaires. On était beaucoup plus calme, à Montmartre et à Belleville, que ne le disaient les nouvellistes, que ne l’espérait M. Thiers. Des pourparlers conciliateurs, où le maire de Montmartre, Clemenceau, avait son rôle, étaient même engagés, à l’insu de Thiers ou malgré lui : la garde nationale, dans sa majorité, n’était pas irréductible, et, sauf l’inquiétude de certains bataillons à l’égard de la solde, dont la garde des canons paraissait justifier le maintien, le plus grand nombre souhaitait un accord terminant le conflit.

La garde nationale avait mis ses canons en sûreté, dans un élan de précaution patriotique, mue par un sentiment de respectable dignité. Elle ne voulait pas que ces pièces d’artillerie toutes neuves, commandées et pavées par ses cotisations, par ses dons, et qui, par suite de l’impéritie de Trochu, n’avaient pas servi pendant le siège, étaient demeurées luisantes et muettes, comme des bibelots décoratifs, dans les parcs de Passy, de Wagram et du Ranelagh, vinssent à tomber, butin facile, trésor non gardé, entre les mains des Prussiens admis dans Paris. M. Thiers avait été obligé de reconnaître que la garde