Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 1.djvu/453

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touraient toujours, et devenaient d’autant plus menaçants que personne ne donnait d’ordres. Le plus forcené était un vieux capitaine de la garde nationale, à cheveux et à barbe blancs, décoré je la médaille de Juillet, qui répétait avec délices qu’il faisait des révolutions depuis quarante ans. Il semblait furieux contre moi, et m’annonçait que mon affaire ne serait pas longue. Je commençais à voir clair dans la situation, et je ne me dissimulais plus le danger que je courais.

« Il était alors dix heures à peu près. Les uns voulaient me laisser dans le jardin, probablement pour en finir avec moi plus vite : les autres voulaient me faire monter dans la maison auprès du Comité, ces derniers réussirent et, après une rixe violente avec leurs camarades, ils m’enlevèrent au premier étage de la maison. Là, je fus introduit dans une chambre où je trouvai un capitaine du 79e bataillon de la garde nationale, qui me reçut, je dois le dire, de la manière la plus courtoise, sans vouloir cependant me dire au nom de qui il me faisait comparaître devant lui, et surtout de quel droit on m’avait arrêté. Il se contenta seulement d’une manière évasive, mais toujours très polie, de me dire que son parti avait besoin de garanties pour la journée, et que nous étions des otages ; le grand mot était lâché, et toutes les représailles devenaient possibles contre moi. Je demandai son nom à ce capitaine ; il me dit se nommer M. Mayer, être journaliste, avoir un fils au service et prisonnier des Prussiens, et être toujours, ajouta-t-il, prêt à nous adoucir, autant qu’il le pourrait, les rigueurs de la position. Il m’annonça aussi que le général Lecomte avait été fait prisonnier par une foule furieuse qui s’était jetée sur lui, que ses troupes l’avaient abandonné, et que seul, un jeune capitaine du 18e bataillon de chasseurs à pied de marche, M. Franck, avait voulu l’accompagner, cherchant à le dégager jusqu’au dernier moment. Je m’aperçus en effet de la présence du capitaine Franck, que j’avais d’abord pris pour un officier de la garde nationale.

« Nous étions gardés à vue par deux gardes nationaux armés, et nous ne pouvions avoir aucune communication avec le général Lecomte.

« Sur ces entrefaites arrivèrent d’autres prisonniers faits par les insurgés : c’étaient M. de Poussargues, chef du 189 bataillon de chasseurs à pied, qui était sous les ordres du général Lecomte, et qui, ayant appris que le général avait été fait prisonnier, avait voulu généreusement s’enquérir de son sort, et avait été arrêté ;