Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/337

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cant avec sa jambe articulée, mais plein d’entrain et de bonne humeur, secouant ses cheveux longs sur ses épaules larges, allant poitrine en avant et le sourire aux lèvres : défiant la misère, dédaignant les déboires, les soucis de l’existence, comme il avait nargué la fusillade, la prison et l’exil. Et puis, dans une calme retraite, où il goûtait le repos avec un peu de bien-être, la mort l’a étouffé dans un spasme, comme un bon rentier asthmatique !

Pour compléter cette brève notice sur ce brave, l’un des meilleurs assurément parmi les héros de l’épopée sinistre de 71, il convient de lui donner la parole. On ne pourrait mieux que lui, avec autant de grandeur dans la simplicité, narrer les circonstances dans lesquelles il fut blessé à la barricade qu’il défendait.

C’était le 25 mai, boulevard du Temple, non loin du boulevard Voltaire. On élevait devant le concert de Bataclan une nouvelle barricade destinée à recevoir les défenseurs de la barricade dressée en face du passage Vendôme, que le feu plongeant des troupes occupant la caserne du Prince Eugène, rendait intenable.

Je pris mes dispositions, dit Lisbonne au dernier chapitre de ses « Souvenirs » inédits (chap. XVI), pour faire évacuer par des caissons traînés à bras d’hommes les obus qui se trouvaient parqués dans le bureau télégraphique qui fait le coin du boulevard du Prince Eugène (Voltaire). Déjà on était parvenu avec beaucoup de difficultés à emmener quelques voitures.

Mon quatrième cheval venait d’être tué sous moi. Il était environ 3 heures. Je fus encourager les travailleurs, afin que si la barricade tombait aux mains des ennemis, ils n’y trouvassent plus de munitions.

La barricade du Prince Eugène commençait à être dépourvue de défenseurs. Un monceau de cadavres gisait derrière. Les balles y pleuvaient ; les obus venaient frapper les maisons et les éclats décimaient nos gardes. Voulant ranimer le courage des combattants, j’avais pris la place d’un franc tireur qui venait d’être tué.