Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 2.djvu/432

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il avait alors soixante ans. Son intelligence et son énergie étaient restées jeunes, son corps seul avait vieilli. On ne subit pas impunément la prison, l’exil et Cayenne.

De taille moyenne, maigre, le corps sec, le visage halé par les vents marins et l’air brûlant des tropiques, une courte moustache grisonnante avec de légers bouquets de barbe roussâtre, laissés aux joues et portés, ras à la façon des cavaliers du premier empire, les cheveux drus et taillés court, il allait droit et un peu raide. Il était ordinairement vêtu d’une jaquette noire, coiffé d’un chapeau haut de forme. Il posait la main, en marchant, sur une canne à bec. Ce révolutionnaire avait l’aspect pacifique d’un bon bourgeois retiré, les allures d’un fonctionnaire en retraite.

Mais une flamme ardente jaillissait de ses yeux gris et profonds. Ses lèvres minces se pinçaient, au cours de la discussion, et leur contraction accentuait les paroles brèves et souvent impérieuses, tombant de sa bouche toujours un peu dédaigneuse, au plissement désabusé.

Même quand il complimentait, il semblait gronder, et son sourire rare était triste comme son approbation était mesurée. Il donnait de l’autorité, sans emphase, à toute affirmation qu’il énonçait. Il n’était cependant ni doctoral, ni prudhommesque ; mais toujours simple, froid et maître de soi. Il agissait sans effort sur son interlocuteur, parce qu’on sentait le vouloir dans son accent et la conviction dans tout ce qu’il disait. Il n’avait rien de l’orateur traditionnel, de l’insupportable phraseur, mais dans un petit cercle, dans une conversation imprévue, il devenait persuasif, sans être insinuant. Il ne se fâchait jamais, mais il avait toujours le dernier mot. Il recherchait la discussion, supportait la contradiction, et ne se laissait pas entamer par elle. Ses amis l’appelaient avec une familiarité défé-