Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le soleil : « Les voilà ! les voilà ! » criaient les promeneurs et les promeneuses, en se précipitant vers la chaussée, Au bout de quelques instants passe, devant nos yeux, un troupeau humain, bâve, déguenillé, tout en loques, mélange d’hommes robustes, de vieillards encore fermes, de pauvres diables pliés en deux, se trainant douloureusement appuyés sur leurs voisins. Les uns ont des chaussures, les autres des savates, les autres sont pieds nus ; ceux-ci portent des képis, ceux-là des chapeaux déformés, il y en a beaucoup qui marchent les cheveux au vent, la barbe flottante, l’œil ardent. Ceux qui sont vêtus ont des pantalons à bandes rouges et de vieilles capotes de drap marron : après avoir recouvert, six mois durant, les mêmes épaules et avoir été roulés un peu partout, ces costumes n’ont plus ni forme ni couleur.

Une tenue plus indescriptible encore que celle des prisonniers, c’est la tenue des prisonnières. La plupart ont à peine des jupons rajustés tant bien que mal par des épingles, d’autres, en marchant, retiennent les leurs avec la main. Ce sont cheveux dénoués et ébouriffés, visages suant le vice et la colère, regards bas et suppliants…

Tout le troupeau est mené, tambour battant, par les cavaliers, le revolver ou le sabre au poing. Durant le trajet, la moindre tentative de rébellion ou d’évasion est réprimée à coups de sabre. Dans le chariot qui suit le convoi, quelques malheureux ont reçu, de cette manière, des blessures qui ne les ont pas mis seulement hors d’état de fuir, mais qui les ont empêchés de continuer à marcher…

La foule, qui voit défiler devant elle ces prisonniers, ne sait point modérer ses transports, elle voudrait se ruer sur eux et les mettre en pièces. J’ai vu des dames d’apparence bien douce, au comble de l’exaspération, s’oublier jusqu’à frapper, de leur ombrelle, de pauvres diables à qui ces traitements semblaient puérils à côté de ceux qui les attendaient.

(Léonce Dupont, — Souvenirs de Versailles pendant la Commune. Paris, Dentu, 1881.)

Il convient d’ajouter une touche à cette fresque hideuse. Les beaux messieurs et les belles madames assaillant ces victimes sans défense, et que leur escorte protégeait mollement, n’ont guère laissé de traces de leurs violences ver-