Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
VERLAINE EMPLOYÉ

ils éclairent avec des bougies. La Seine, que sillonnaient de lourdes canonnières, de temps en temps lâchant un obus, reflétait l’Hôtel de Ville illuminé. À gauche, à droite, au sud, au septentrion, partout s’étalaient, en plein midi, des lueurs de couchant. Un crépuscule permanent d’ocre, de bitume et de vermillon.

De tous les côtés, des vapeurs montaient, s’étalaient, s’aggloméraient. La coloration générale était non pas rouge, mais grise. Et cependant tout Paris flambait, mais la masse des nuées lourdes, des fumées tirebouchonnantes, enveloppait tout, et mettait comme un écran entre chaque brasier ardent. On distinguait très nettement, s’élevant hardie et finement amenuisée, la flèche dorée de la Sainte-Chapelle ; elle émergeait, intacte et comme mystérieusement protégée, des flocons noirâtres de la préfecture incendiée.

Tout à coup, à l’Orient un flamboiement intense éclate. C’est comme un bol de punch formidable tout à coup remué, se ravivant. Des flammes vertes, bleues, irisées, mordorées, jaunes, se hérissent, gigantesques lames de sabres, bariolées de couleurs sauvages. Le grenier d’abondance avait pris feu. Je criai à Verlaine de venir un instant sur le balcon. Il fallait se hâter de contempler ce lugubre et prodigieux spectacle, qui eût découragé Érostrate et humilié Néron. Il ne voulut pas. Il prétendit demeurer avec Louise, la servante qui avait peur, dans le cabinet de toilette sombre. On ne put pas le faire renoncer à ces deux idées tenaces : éviter de voir l’horreur de l’incendie et réconforter la bonne.

Du côté des vaincus, les détonations sourdes des pièces du Père-Lachaise et des Buttes-Chaumont, lâchant leurs dernières volées, la fusillade au loin déchirant l’air ; du côté des vainqueurs, à la Bastille, ajoutaient à l’hor-