Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/163

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qui puisse se rapporter à un événement précis de la vie du poète, à une sensation éprouvée, à une joie ou à un chagrin ressentis. Il n’exprime, comme Gœthe en son Divan (il lisait beaucoup le grand Allemand, à cette époque, dans la traduction Jacques Porchat), que des émotions abstraites, objectives, composées. Les vers adressés à des femmes n’ont aucune créature réelle, existante, connue de lui, pour destinataire. Les douleurs qu’il annonce et qu’il chante sont de simples suppositions. Il prévoyait sans doute dès lors l’avenir, mais quand, en 1865, il écrivait : « Le bonheur a marché côte à côte avec moi », ce vers désespéré ne s’appliquait à aucun fait de sa vie réelle. Il n’avait encore reçu aucun choc de la vie. Il était jeune, bien portant, sans amour au cœur, satisfait des plaisirs rapides à sa portée, ayant la bourse suffisamment garnie, buvant, à la sortie d’un bureau qui n’était pas très pénible, des apéritifs nombreux qui le mettaient en joie ; il vivait, sans souci de l’avenir, paisiblement et régulièrement, dans la maison maternelle. Sa plainte mélancolique était donc toute cérébrale et spéculative. À la même époque, il se préoccupait d’écrire une bouffonnerie, destinée à la scène amusante et très peu saturnienne de la Gaîté-Rochechouart.

Il entrait tellement dans sa pensée de ne point se raconter dans ses vers, et de ne rimer que des sujets extérieurs, ne se rapportant ni à lui, ni aux siens, que, son père étant venu à mourir (la publication des Poèmes Saturniens est postérieure d’un an à ce décès), il me consulta sur le point de savoir s’il devait laisser figurer, dans le volume, la pièce de vers intitulée Sub Urbe.

Elle commence ainsi :