Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/194

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vre agissant, il éprouvait le désir de retrouver les gens avec lesquels il s’était disputé. Probablement il avait l’intention de recommencer la querelle. Son œil devenait mauvais, sa parole était brève, hachée, et il brandissait fébrilement sa canne. Je m’efforçai de le calmer, et à un moment donné, comme il faisait mine de rebrousser chemin, je le pris par le bras pour l’engager à continuer sa route, à rentrer chez lui, plutôt que pour le maintenir.

Il prit fort mal la chose. Il m’apostropha durement, puis brusquement, dégainant la lame qui était enfermée dans sa canne, il fonça sur moi. Je reculai, je parai de mon mieux les coups de pointe de plus en plus furieux qu’il me portait, excité par la lutte. Je le suppliai de redevenir raisonnable. Je lui criai que c’était un jeu dangereux, qu’on pouvait l’un ou l’autre se blesser. Il ne m’écoutait pas. La partie devenait inégale ; je n’avais qu’un léger jonc pour me défendre. C’était un duel où l’un des champions était désarmé. J’avais essayé, en tapant sur ses poignets, de faire tomber l’arme des mains de mon sympathique assaillant, mais le stylet de cette canne épée était court, difficile à lier avec une badine, et Verlaine en tenait le manche avec une vigueur surexcitée. Je battis en retraite, du plus vite que je pus, sans avoir aucune honte de cette fuite, d’ailleurs plus semblable à la ruse d’Horace, qu’à la dérobade du poète homonyme. Je m’étais jeté parmi les arbres, bouquets minces de bouleaux et de jeunes hêtres, comptant que Verlaine, alourdi par l’ivresse, ne pourrait ni me joindre, ni même se tenir debout longtemps. Ce que j’avais prévu arriva : comme il brandissait de plus en plus furieusement son stylet, sabrant les basses branches des arbres, et hurlant qu’il allait m’étriper, puisque je voulais l’a-