Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/309

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Ayant fui, Loth imprévoyant, la Gomorrhe de la rue Nicolet, sans rien du tout emporter, me voici nudus, pauper, sans livres, tableaux et tous autres objets à moi appartenant, et détenus par l’aimable famille que tu sais, sans que je sache le moyen de leur faire cracher tout cela. Veuille m’induire dans les voies amiables, s’il se peut, ou bien alors légales, de rattraper mon fade. Explique-moi ça bien.

Il y a bien l’enfant aussi que l’on voudrait m’escamoter, et qu’en attendant on cache à ma mère, qui n’en peut mais ; pour ça, comme c’est un délit atroce, point je ne pense m’est besoin de m’en remettre à autre chose qu’aux justices humaine ou divine. De cette dernière, s’il le faut, je serai le bras provoqué…

Aux détails londoniens maintenant :

Croquis londoniens. — Je travaille beaucoup. Des journaux français sérieux se fondent ici ; j’intrigue et je crois que j’en serai. Puis, je connais des négociants ; puis, bien qu’en effet peu heureux, par suite des petites sécheresses, et des énormes indélicatesses de certaines gens, me voici tout courageux et les manches retroussées. Bref, comme le prêtre marié de Barbey, je ne suis pas encore si charogne que ça !

Moins triste que sa réputation, Londres : il est vrai qu’il faut être comme moi, au fond très chercheur, pour y trouver quelques distractions ; j’en trouve beaucoup. Mais des cafés propres, nix, nix. Il se faut résigner aux immondes caboulots dits « french coffee bouses », ou alors aux boîtes à commis-voyageurs de Leicester Square. N’importe ! C’est très bien cette incroyable ville, noire comme les corbeaux et bruyante comme les canards ; prude comme tous les vices se proposant ; saoûle sempiternellement, en dépit de bills ridicules sur l’ivrognerie ; immense, bien qu’au fond elle ne soit qu’un ramassis de petites villes, cancanières, rivales, laides et plates ; sans monuments aucuns, sauf ses interminables docks (qui suffisent d’ailleurs à ma poétique de plus en plus moderniste). C’est très bien, au fond ! malgré les ridiculités sans nombre que je renonce, à la fin, à t’énumérer.

Ci-joint deux petits poèmes, à la suite de celui que je t’ai envoyé ; je me propose de les faire imprimer avec d’autres congénères, et d’un tout autre genre, sous le titre de Roman-