Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/155

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ne se trouve pas aussi sous une casquette numérotée et n’y a-t-il pas un cœur qui bat sous ce grossier manteau ?

— Pauvre manteau ! ai-je dit en souriant. Mais quel est ce monsieur qui s’avance vers elles et leur offre si obligeamment un verre ?

— Ah ! C’est un élégant de Moscou, Raiëvitch, un joueur ; cela se voit à la splendide chaîne en or qui pend à son gilet bleu. Quelle énorme canne ! C’est à la Robinson Crusoë ; sa barbe et ses cheveux sont à la mougik !…

— Tu es donc fâché contre toute la race humaine ?

— Et il y a de quoi !

— Ah ? vraiment ! »

Pendant ce temps ces dames se sont éloignées du puits et sont arrivées à hauteur de nous. Groutchnitski s’est efforcé de prendre une pose dramatique à l’aide de ses béquilles, et m’a dit à haute voix en français :

« Mon cher, je hais les hommes pour ne pas les mépriser, car autrement la vie serait une farce trop dégoûtante. »

La jeune et jolie princesse s’est retournée et a gratifié le prolixe orateur d’un regard curieux ;