Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/187

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les bleus lointains, m’efforçant de saisir les contours vagues des objets ; qui, à chaque instant, deviennent de plus en plus perceptibles et s’éclairent. Quelle que soit l’affliction qui enveloppe mon cœur, quelle que soit l’inquiétude qui tourmente ma pensée ; tout en un instant disparaît : quelque chose de léger se lève dans mon âme ; la fatigue du corps triomphe du trouble de l’esprit. Il n’y a pas de regard de femme que je ne puisse oublier, en voyant nos montagnes boisées, illuminées par le soleil de juin, le ciel bleu, et en écoutant le torrent, qui roule avec fracas de rocher en rocher.

Je pense que les Cosaques, qui bâillent sur la porte de leurs chaumières, en me voyant galoper sans raison et sans but, ont dû longtemps s’inquiéter de cette énigme ; car à mon vêtement ils doivent me prendre pour un Circassien. On m’a dit effectivement, que lorsque j’étais à cheval dans le costume circassien, je ressemblais beaucoup plus à un Kabardien que bon nombre d’habitants de Kabarda. Et en effet qui oserait altérer ces nobles vêtements de guerre ? Quant à moi, je les porte en dandy accompli : pas un galon inutile, des armes de prix, mais d’un