Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/352

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et toute sans partage. Jouir, souffrir, mais ne jamais attendre d’éloges pour le mal et jamais de récompense pour le bien. Vivre pour soi seul ; être un objet d’ennui pour soi-même ; et traverser cette éternelle lutte sans noblesse et sans espoir de réconciliation. Toujours regretter et ne rien désirer : tout savoir, tout ressentir, tout voir, détester tout ce qui est contraire à mes désirs et tout mépriser dans le monde. Du jour où la malédiction divine m’a frappé, les embrasements passionnés de la nature se sont éternellement refroidis pour moi. Les espaces s’étendaient à l’infini devant mes yeux ; je voyais les astres, qui m’étaient connus depuis si longtemps, couverts de leurs parures nuptiales, glisser doucement devant moi, portant des couronnes d’or : Mais hélas ! Aucun ne reconnaissait son ancien frère ! Dans mon désespoir je me mis à appeler des proscrits semblables à moi ; mais moi-même de mon regard méchant je ne pouvais plus reconnaître ni leurs visages ni leurs voix. Alors effrayé j’agitai mes ailes et me mis à courir rapidement, mais où ? pourquoi ? je ne le sais. Mes anciens frères m’avaient repoussé et comme l’Eden, le monde entier de-