Page:Lermontov - Un héros de notre temps, Stock, 1904.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore : l’amour de cette petite sauvagesse ne vaut guère mieux que celui d’une grande dame ; la naïveté et la candeur de l’une m’importunent autant que le feraient les coquetteries de l’autre. Si vous voulez, je l’aime encore ; je lui suis reconnaissant de quelques moments bien doux, et je donnerais ma vie pour elle ; mais auprès d’elle, je m’ennuie ! Je suis un sot ou plus méchant encore, je ne sais ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que je suis bien digne de pitié et peut-être plus qu’elle. J’ai une âme gâtée par le monde, une imagination sans repos et un, cœur insatiable. Tout me paraît petit ; je m’habitue facilement à la souffrance comme au plaisir et mon existence devient plus monotone de jour en jour. Il ne me reste plus qu’une ressource : c’est de voyager. Dès que je le pourrai, je me mettrai en route ; mais pas en Europe, grand Dieu ! J’irai en Amérique, en Arabie ou dans l’Inde ; enfin où que ce soit, je mourrai en voyageant, à moins que je ne me persuade que cette dernière consolation sera trop longue à s’épuiser, en dépit des orages et des mauvais chemins. »

Il parla ainsi longtemps et ses paroles se gra-