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MARTHE TIENT À SES FANTÔMES
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Elle regarda avec égarement autour d’elle, et puis :

« Toutes les portes sont bien fermées ? Nous sommes seuls ? Écoutez : J’aurais eu certainement des nouvelles d’André s’il n’était pas mort… et comme je n’en avais pas, je ne pensais qu’à sa mort… et à aller le rejoindre… mais pour cela, il fallait être sûre qu’il fût bien mort… et de cela j’aurais voulu avoir la certitude… l’absolue certitude… et, un soir que je pensais à lui avec une ardeur maladive, suppliant son ombre de m’appeler près d’elle si elle avait vraiment quitté son corps… et où j’étais hantée par l’idée du suicide… il y a environ deux ans de cela… je me trouvais, tenez, dans le petit kiosque qui domine le bord de l’eau, alors j’ai vu ou j’ai cru voir une ombre éclairée par la lune et qui ressemblait étrangement à André… Cette ombre légère, inconsistante, flottait entre les saules de la rive, sur les eaux. Je m’évanouis.

« Le lendemain, je me réveillai dans mon lit. J’étais soignée par une sœur qu’était allé chercher mon mari. Cette sœur venait du couvent où j’avais été élevée et s’était toujours montrée si bonne avec moi que je lui confiai l’histoire de l’apparition. Elle me raisonna, me confessa, et, comme j’étais naturellement pieuse, n’eut pas de peine à me faire renoncer à l’idée de suicide. Seulement, je retournai souvent le soir dans le kiosque.

« Loin de me faire peur, l’image d’André flottant sur les eaux m’attirait. J’aurais voulu la revoir. Je le désirais de toute mon âme.