Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/4

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de monde. Les équipages s’y pressaient, dans les clameurs des cochers et des camelots. Sous la voûte qui conduit dans la première cour de l’Institut, une foule bruyante entourait un personnage qui paraissait avoir grand-peine à se dégager de cette étreinte enthousiaste. Et les quatre professeurs étaient là qui criaient : Bravo !…

M. Lalouette mit son chapeau à la main et, s’adressant à l’un de ces messieurs, il lui demanda fort timidement de bien vouloir lui expliquer ce qui se passait.

— Eh ! vous le voyez bien !… C’est le capitaine de vaisseau Maxime d’Aulnay !

— Est-ce qu’il va se battre en duel ? interrogea encore, avec la plus humble politesse, M. Lalouette.

— Mais non !… Il va prononcer son discours de réception à l’Académie française ! répondit le professeur agacé.

Sur ces entrefaites, M. Gaspard Lalouette se trouva séparé des professeurs par un grand remous de foule. C’étaient les amis de Maxime d’Aulnay qui, après lui avoir fait escorte et l’avoir embrassé avec émotion, essayaient de pénétrer dans la salle des séances publiques. Ce fut un beau tapage, car leurs cartes d’entrée ne leur servirent de rien. Certains d’entre eux qui avaient pris la sage précaution de se faire retenir leurs places par des gens à gages, en furent pour leurs frais, car ceux qui étaient venus pour les autres restèrent pour eux-mêmes. La curiosité, plus forte que leur intérêt, les cloua à demeure. Cependant, comme M. Lalouette se trouvait acculé entre les griffes pacifiques du lion de pierre qui veille au seuil de l’Immortalité, un commissionnaire lui tint ce langage :

— Si vous voulez entrer monsieur, c’est vingt francs !

M. Gaspard Lalouette, tout marchand de bric-à-brac et de tableaux qu’il était, avait un grand respect pour les lettres. Lui-même était auteur. Il avait publié deux ouvrages qui étaient l’orgueil de sa vie, l’un sur les signatures des peintres célèbres et sur les moyens de reconnaître l’authenticité de leurs œuvres, l’autre sur l’art de l’encadrement, à la suite de quoi il avait été nommé officier d’Académie ; mais jamais il n’était entré à l’Académie, et surtout jamais l’idée qu’il avait pu se faire d’une séance publique à l’Académie n’avait concordé avec tout ce qu’il venait d’entendre et de voir depuis un quart d’heure. Jamais, par exemple, il n’eût pensé qu’il fût si utile, pour prononcer un discours de réception, d’être veuf, sans enfants, de n’avoir peur de rien et d’avoir fait son testament. Il donna ses vingt francs et, à travers mille horions, se vit installé tant bien que mal dans une tribune où tout le monde était debout, regardant dans la salle.

C’était Maxime d’Aulnay qui entrait.

Il entrait un peu pâle, flanqué de ses deux parrains, M. le comte de Bray et le professeur Palaiseaux, plus pâles que lui.

Un long frisson secoua l’assemblée. Les femmes qui étaient nombreuses et de choix ne purent retenir un mouvement d’admiration et de pitié. Une pieuse douairière se signa. Sur tous les gradins on s’était levé, car toute cette émotion était infiniment respectueuse, comme devant la mort qui passe.

Arrivé à sa place, le récipiendaire s’était assis entre ses deux gardes du corps, puis il releva la tête et promena un regard ferme sur ses collègues,