Page:Leroux - Mister Flow.djvu/16

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Je ne connais point de supplice plus cruel que celui de se sentir capable de tout, sans savoir exactement de quoi, et de ne pouvoir s’accrocher à rien. Journées abominables. Rentrées du soir écœurantes dans les deux pauvres pièces qui, au coin de la rue des Bernardins, constituent le domicile du « cher maître ». Je me jette tout habillé sur mon lit, dégoûté de tous et en particulier de moi-même.

Le bruit d’une machine à écrire, dans l’appartement d’à côté. Ce sont deux sœurs qui vivent là. Nathalie et Clotilde. Nathalie est sténo-dactylo, pas très jolie. Elle travaille pour les agences de la rue Henner. Copies dramatiques. Clotilde suit les cours de l’École de Droit. Elle s’est déjà fait inscrire au barreau, il ne nous manquait plus que ça : les femmes !… Une confiance prodigieuse en elle-même, dans son travail, dans sa persévérance. Elle vous dit carrément : j’arriverai. En attendant, pour vivre, elle fait de la copie, elle aussi, pour messieurs les auteurs. Et c’est honnête ! Quelle époque ! Elles ont un frère que je connais, qui est danseur au Cambridge, et qui va épouser une vieille dame. Il y a eu une scène, l’autre jour. Elles l’ont fichu à la porte. Le frère a raison. Surtout s’il tue la vieille dame et me prend pour avocat. Je sens que je le ferais acquitter…

Ce matin, j’ai reçu un mot de mon client. Il demande à me voir cet après-midi. Encore un qui ne s’en fait pas ! En sortant de ma pension — c’est un vieil oncle qui la paie — je suis allé faire un tour au jardin du Luxembourg. Pas traîné. Les