Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/207

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trois causes artificielles principales qui contribuent à l’agglomération des habitants dans les grandes villes. La première, c’est le régime fiscal qui s’oppose à la complète liberté des transactions. Les contributions indirectes et les douanes ont produit une organisation du travail et des ateliers qui n’est pas l’organisation naturelle. Les facultés d’entrepôt, soit réel, soit fictif, les abonnements que la régie accorde pour le paiement des droits aux grandes exploitations et qu’elle refuse aux petites, donnent à l’industrie et au commerce un degré de concentration qu’ils n’auraient pas s’il n’y avait ni contributions indirectes ni douanes. Il existe encore dans notre temps des privilèges locaux, quoi qu’on dise, car la faculté d’entrepôt et d’abonnement ont incontestablement ce caractère, et les grandes villes seules en profitent. Bien des marchandises viennent s’entasser à Paris, au Havre, à Marseille, sans être destinées à la consommation de ces villes ou de leur banlieue ; mais elles y séjournent en franchise de droits jusqu’à ce qu’elles aient trouvé le moment favorable pour acquitter les taxes et se répandre au dehors. Un économiste anglais de beaucoup de sagacité, M. Cliffe Leslie, a parfaitement décrit l’influence des contributions indirectes et des douanes sur la concentration de l’industrie et du commerce. C’est là une des causes importantes de l’accroissement des villes. Le régime fiscal rend impossible la création ou le maintien de certaines industries dans les campagnes ou dans les petits ateliers.

Une seconde cause artificielle qui produit des effets analogues, c’est l’exagération des grands travaux publics de luxe. Paris, par exemple, n’a pas cessé depuis trente ans d’être un vaste chantier où des ouvriers par dizaines de mille étaient occupés à renverser de vieux quartiers et à en édifier de nouveaux sur les débris des premiers. On peut presque dire qu’il suffit de deux ou trois ouvriers pour amener un petit commerçant, qui les suit comme leur ombre, pour les nourrir, les abreuver surtout, les distraire et les loger. Une fois habituée à la vie de la grande ville, une notable partie de cette population flottante s’y fixe et y prend racine.