Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne de l’emprunteur. Si l’on nous permet cette expression, la catégorie des emprunteurs est, dans les sociétés primitives, d’une moindre qualité que dans les sociétés plus avancées.

Aussi le taux de l’intérêt est-il dans les premières très élevé. Si l’offre des capitaux est faible, cela ne vient pas seulement de ce que les capitaux n’abondent pas ; ils sont peu abondants en effet, mais surtout leurs possesseurs ne veulent pas s’en dessaisir ; non pas qu’ils les emploient eux-mêmes, d’ordinaire ils ne sauraient leur trouver d’usage très productif, mais ils craindraient de les perdre s’ils les laissaient sortir de leurs mains. Ce qui prédomine alors c’est la thésaurisation et il faut un intérêt singulièrement haut pour prévaloir contre cette habitude que justifient les conditions sociales du temps ; même l’élévation du taux de l’intérêt ne parvient pas en général à triompher de la prudence de la plupart des épargnants ; mais il se crée alors une classe particulière de gens, véritables marchands d’argent, tantôt les juifs, tantôt les lombards, qui faisant métier d’être prêteurs, divisant leurs risques, se faisant donner des gages qu’ils savent évaluer à bas prix, mettant leur activité personnelle à la tâche difficile de faire rentrer les prêts venus à échéance, arrivent à prospérer là où les simples prêteurs de capitaux épargnés auraient eu les plus grandes chances de se ruiner.

La loi des Wisigoths permettait un intérêt de 12 1/2 p. 100 pour les prêts d’argent, de 50 p. 100 pour les prêts de marchandises. Les lombards et les juifs en France au treizième siècle prélevaient en moyenne 20 p. 100 ; dans le nord de l’Italie, au quatorzième siècle, l’intérêt allait de 10 à 20 ; à la même époque il s’élevait jusqu’à 60 ou 70 p. 100 dans le Rheingau, mais sur ce taux énorme il y avait des taxes à payer à l’archevêque. Dans les pays orientaux, en Turquie, en Égypte, de notre temps, on a vu l’intérêt s’élever à 20, 30 ou 40 p. 100 ; les bons du Trésor du dernier khédive d’Égypte, avant toute réduction des intérêts de sa dette consolidée, se sont escomptés à 25 p. 100, et c’est, dit-on, à 40 ou 50 p. 100 que les prêteurs fournissent de l’argent au fellah, sur gage de récoltes, pour le paiement des impôts qu’on lui extorque.