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JALOUSIE

s’est froissé, dit-elle à M. de Charlus, et l’a repris. On avait dit qu’il était maintenant chez Diane de Saint-Euverte. » « — Je ne croirai jamais, répliqua le Baron, qu’un chef-d’œuvre ait si mauvais goût. »

« — Il lui parle de son portrait. Moi, je lui en parlerais aussi bien que Charlus de ce portrait, me dit Swann, affectant un ton traînard et voyou et suivant des yeux le couple qui s’éloignait. Et cela me ferait sûrement plus de plaisir qu’à Charlus », ajouta-t-il. Je lui demandai si ce qu’on disait de M. de Charlus était vrai, en quoi je mentais doublement, car si je ne savais pas qu’on eût jamais rien dit, en revanche je savais fort bien depuis tantôt que ce que je voulais dire était vrai. Swann haussa les épaules, comme si j’avais proféré une absurdité. « — C’est-à-dire que c’est un ami délicieux. Mais, ai-je besoin d’ajouter que c’est purement platonique. Il est plus sentimental que d’autres, voilà tout ; d’autre part, comme il ne va jamais très loin avec les femmes, cela a donné une espèce de crédit aux bruits insensés dont vous me parlez. Charlus aime peut-être beaucoup ses amis, mais tenez pour assuré que cela ne s’est jamais passé ailleurs que dans sa tête et dans son cœur. Enfin, nous allons peut-être avoir deux secondes de tranquillité. Donc, le prince de Guermantes continua : « Je vous avouerai que cette idée d’une illégalité possible dans la conduite du procès, m’était extrêmement pénible à cause du culte que vous savez que j’ai pour l’armée, j’en recausai avec lui, et je n’eus plus, hélas ! aucun doute à cet égard. Je vous dirai franchement que dans tout cela, l’idée qu’un innocent pourrait subir la plus infamante des peines ne m’avait même pas effleuré. Mais par cette idée d’illégalité, je me mis à étudier ce que je n’avais pas voulu lire, et voici que des doutes, cette fois non plus sur l’illégalité, mais sur l’innocence, vinrent me hanter.