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JALOUSIE

tacle. Certes le médecin habituel de Balbec ne pouvait gêner Cottard. C’était seulement un praticien très consciencieux qui savait tout et à qui on ne pouvait pas parler de la moindre démangeaison, sans qu’il ne vous indiquât aussitôt, dans une formule complexe, la pommade, lotion ou liniment, qui convenait. Mais il n’avait pas d’illustration. Il avait bien causé un petit ennui à Cottard. Celui-ci, depuis qu’il voulait troquer sa chaire contre celle de thérapeutique, s’était fait une spécialité des intoxications. Les intoxications, périlleuse innovation de la médecine, servant à renouveler les étiquettes des pharmaciens dont tout produit est déclaré n’être nullement toxique, au rebours des drogues similaires et même désintoxicant. C’est la réclame à la mode ; à peine s’il survit en bas en lettres illisibles, comme une faible trace d’une mode précédente, l’assurance que le produit a été soigneusement antiseptisé. Les intoxications servent aussi à rassurer le malade qui apprend avec joie que sa paralysie n’est qu’un malaise toxique. Or, un grand-duc, étant venu passer quelques jours à Balbec et ayant un œil extrêmement enflé, avait fait venir Cottard lequel en échange de quelques billets de cent francs (le professeur ne se dérangeait pas à moins) avait imputé comme cause régime désintoxicant[1]. L’œil ne désenflant pas, le grand-duc se rabattit sur le petit médecin de Balbec, lequel en cinq minutes retira un grain de poussière. Le lendemain il n’y paraissait plus. Un rival plus dangereux pourtant était une célébrité des maladies nerveuses. C’était un homme rouge, jovial, à la fois parce que la fréquentation des déchéances nerveuses ne l’empêchait pas d’être très bien portant, mais aussi pour rassurer ses malades par le gros rire de son bonjour et de son au revoir, quitte à aider de ses bras d’athlète à leur passer plus tard la camisole

  1. À nouveau, une omission s’est sans doute produite à l’impression, nuisant à l’intelligibilité de la phrase, qui s’achève ainsi dans le passage correspondant de Sodome et Gomorrhe : « … avait imputé comme cause à l’inflammation un état toxique et prescrit un régime désintoxiquant ». [Note Wikisource]