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JALOUSIE

être « en confidences » avec M. de Charlus. Mais si notre ministre auprès du roi Théodose, avait quelques-uns des mêmes défauts que le baron, ce n’était qu’à l’état de bien pâle reflet. Ce n’est que sous une forme infiniment adoucie, sentimentale et niaise qu’il présentait ces alternances de sympathie et de haine par où le désir de charmer, et ensuite la crainte — également imaginaire — d’être, sinon méprisé, du moins découvert, faisait passer le baron. Rendues ridicules par une chasteté, un « platonisme », (auxquels en grand ambitieux il avait, dès l’âge du concours, sacrifié tout plaisir), par sa niaiserie et sa nullité intellectuelle surtout, ces alternances, M. de Vaugoubert les présentait pourtant. Mais tandis que chez M. de Charlus les louanges immodérées étaient clamées avec un véritable éclat d’éloquence, et assaisonnées des plus fines, des plus mordantes railleries et qui marquaient un homme à jamais, chez M. de Vaugoubert au contraire, la sympathie était exprimée avec la banalité d’un homme de dernier ordre, du grand monde, et d’un fonctionnaire, les griefs (forgés généralement de toutes pièces comme chez le baron) par une malveillance sans trêve mais sans esprit et qui choquait d’autant plus qu’elle était d’habitude en contradiction avec les propos que le ministre avait tenus six mois avant et tiendrait peut-être à nouveau dans quelque temps : régularité dans le changement qui donnait une poésie presque astronomique aux diverses phases de la vie de M. de Vaugoubert, bien que sans cela personne moins que lui ne fît penser à un astre.

Le bonjour qu’il me rendit n’avait rien de celui qu’aurait eu M. de Charlus. À ce bonjour M. de Vaugoubert, outre les mille façons qu’il croyait celles du monde et de la diplomatie, donnait un air cavalier, fringant, souriant pour sembler d’une part ravi de l’existence — alors qu’il remâ-