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JALOUSIE

dins où il causait avec quelques personnes n’était pas bien grande. Mais me semblait aussi terrible que si pour la franchir, — il eût fallu s’exposer à un feu continu.

Beaucoup de femmes par qui il me semblait que j’eusse pu me faire présenter étaient dans le jardin où, tout en feignant une admiration exaltée, elles ne savaient du reste pas trop que faire. Les fêtes de ce genre sont en général anticipées. Elles n’ont guère de réalité que le lendemain où elles occupent l’attention des personnes qui n’ont pas été invitées. Un véritable écrivain, dépourvu du sot amour-propre de tant de gens de lettres, si lisant l’article d un critique qui lui a toujours témoigné la plus grande admiration voit cités les noms d’auteurs médiocres mais pas le sien, n’a pas le loisir de s’arrêter à ce qui pourrait être pour lui un sujet d’étonnement : ses livres le réclament. Mais une femme du monde n’a rien à faire et en lisant dans le Figaro : « Hier le prince et la princesse de Guermantes ont donné une grande soirée, etc. » elle se dit : « Comment ! j’ai, il y a trois jours, causé une heure avec Marie Gilbert sans qu’elle m’en dise rien ! » et se casse la tête pour savoir ce qu’elle a pu faire aux Guermantes. Il faut dire qu’en ce qui concernait les fêtes de la princesse, l’étonnement était quelquefois aussi grand chez les invités que chez ceux qui ne l’étaient pas. Car elles explosaient au moment où on les attendait le moins, et faisaient appel à des gens qu’elle avait oubliés pendant des années. Et presque tous les gens du monde sont si insignifiants que chacun de leurs pareils ne prend, pour les juger, que la mesure de leur amabilité, invité les chérit, exclu les déteste. Pour ces derniers si en effet souvent la princesse, même s’ils étaient de ses amis, ne les invitait pas, cela tenait souvent à sa crainte de mécontenter « Palamède » qui les avait excom-