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JALOUSIE

Un de ces petits accidents, qui ne se produisaient guère qu’au moment où la brise s’élevait, fut assez désagréable. On avait fait croire à Mme d’Arpajon que le duc de Guermantes — en réalité non encore arrivé — était avec Mme de Surgis dans les galeries de marbre rose où on accédait par la double colonnade, creusée à l’intérieur, qui s’élevait de la margelle du bassin. Or, au moment où Mme d’Arpajon allait s’engager dans l’une des colonnes, un fort coup de chaude brise tordit le jet d’eau et inonda si complètement Mme d’Arpajon que l’eau dégoulinant de son décolletage dans l’intérieur de sa robe, la belle dame ruisselante fut aussi trempée que si on l’avait plongé dans un bain. Alors non loin d’elle, un grognement scandé retentit assez fort pour pouvoir se faire entendre à toute une armée et pourtant prolongé par période comme s’il s’adressait non pas à l’ensemble, mais successivement à chaque partie des troupes ; c’était le Grand-Duc Wladimir qui riait de tout son cœur en voyant l’immersion de Mme d’Arpajon, une des choses les plus gaies, aimait-il à dire ensuite, à laquelle il eût assisté de toute sa vie. Comme quelques personnes charitables faisaient remarquer au Grand-Duc qu’un mot de condoléances de lui serait peut-être mérité et ferait peut-être plaisir à cette femme qui, malgré sa quarantaine bien sonnée, et tout en s’épongeant avec son écharpe, sans demander le secours de personne, se dégageait malgré l’eau qui souillait malicieusement la margelle de la vasque, le moscovite, qui avait bon cœur, crut devoir s’exécuter et les derniers roulements militaires du rire à peine apaisés, on entendit un nouveau grondement plus violent encore que l’autre. « — Bravo, la vieille ! » s’écria le Grand-Duc en battant des mains comme au théâtre. Mme d’Arpajon ne fut pas sensible à ce qu’on vantât sa dextérité aux dé-