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JALOUSIE

pendant quelques instants. Puis, sans aucune autre raison qu’un étalage voulu d’érudition involontaire, de banalité et de conformité à l’esprit général, elle ajouta : « — C’est une assez agréable femme, la Pomme ! »

Tandis que la Princesse causait avec moi, faisaient précisément leur entrée le duc et la duchesse de Guermantes ! Mais je ne pus d’abord aller au-devant d’eux, car je fus happé au passage par l’ambassadrice de Turquie, laquelle, me désignant la maîtresse de maison que je venais de quitter, s’écria en m’empoignant par le bras : « — Ah ! quelle femme délicieuse que la Princesse ! Quel être supérieur à tous ! Il me semble que si j’étais un homme, ajouta-t-elle, avec un peu de bassesse et de sensualité orientales, je vouerais ma vie à cette céleste créature. » Je répondis qu’elle me semblait charmante en effet, mais que je connaissais plus sa cousine la Duchesse. — Mais il n’y a aucun rapport, me dit l’ambassadrice. Oriane est une charmante femme du monde qui tire son esprit de Mémé et de Babal, tandis que Marie-Gilbert, c’est quelqu’un.

Je n’aime jamais beaucoup qu’on me dise aussi sans réplique ce que je dois penser des gens que je connais. Et il n’y avait aucune raison pour que l’ambassadrice de Turquie eût sur la valeur de la duchesse de Guermantes un jugement plus sûr que le mien.

D’autre part, ce qui expliquait aussi mon agacement contre l’ambassadrice c’est que les défauts d’une simple connaissance, et même d’un ami, sont pour nous de vrais poisons, contre lesquels nous sommes heureusement « mithridatés ».

Mais, sans apporter le moindre appareil de comparaison scientifique, et parler d’anaphylaxie, disons qu’au sein de nos relations amicales ou purement mondaines, il y a une hostilité momentanément guérie, mais récurrente, par accès. Ha-