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JALOUSIE

l’aspect de la légation de X… ou de tel Service du Ministère des Affaires Étrangères, rendaient rétrospectivement ces palais aussi mystérieux que le temple de Jérusalem ou la salle du trône de Suse. Pour une ambassade dont le jeune personnel vint tout entier serrer la main de M. de Charlus, M. de Vaugoubert prit l’air émerveillé d’Élise s’écriant dans Esther :

Ciel quel nombreux essaim d’innocentes beautés
S’offre à mes yeux en foule et sort de tous côtés.
Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte !

Puis désireux d’être plus « fixé », il jeta en souriant à M. de Charlus un regard niaisement interrogateur et concupiscent : « — Mais voyons, bien entendu », dit M. de Charlus, de l’air docte d’un érudit parlant à un ignare. Aussitôt M. de Vaugoubert (ce qui agaça beaucoup M. de Charlus) ne détacha plus ses yeux de ces jeunes secrétaires, que le ministre de X… en France, vieux cheval de retour, n’avait pas choisis au hasard. M. de Vaugoubert se taisait, je voyais seulement ses regards. Mais habitué dès mon enfance à prêter, même à ce qui est muet, le langage des classiques, je faisais dire aux yeux de M. de Vaugoubert les vers par lesquels Esther explique à Élise que Mardochée a tenu, par zèle pour sa religion, a ne placer auprès de la Reine que des filles qui y appartinssent.

Cependant son amour pour notre nation
A peuplé ce palais de filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Il (l’excellent ministre) met à les former son étude et ses soins.

Enfin M. de Vaugoubert parla, autrement que par ses regards. « — Qui sait, dit-il avec mélancolie, si dans les pays où je réside, la même chose