Page:Les Œuvres libres, numéro 5, 1921.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
JALOUSIE

fois-ci du trop lambin joueur de tennis une inerte balle de tennis elle-même qu’on lance sans ménagements, se trouve projeté vers la duchesse de Guermantes à laquelle il présente ses hommages. Il fut assez mal reçu, Oriane vivant dans la persuasion que tous les diplomates — ou hommes politiques — de son monde étaient des nigauds.

M. de Froberville avait forcément bénéficié de la situation de faveur qui était faite aux militaires dans la société. Malheureusement, si la femme qu’il avait épousée était parente très véritable des Guermantes, c’en était une aussi extrêmement pauvre, et comme lui-même avait perdu sa fortune, ils n’avaient guère de relations et c’étaient de ces gens qu’on laissait de côté hors des grandes occasions, quand ils avaient la chance de perdre ou de marier un parent. Alors, ils faisaient vraiment partie de la communion du grand monde, comme les catholiques de nom qui ne s’approchent de la sainte table qu’une fois l’an. Leur situation matérielle eût même été fort malheureuse si Mme de Saint-Euverte fidèle à l’affection qu’elle avait eue pour feu le général Froberville, n’avait pas aidé de toutes façons le ménage, donnant des toilettes et des distractions aux deux petites filles. Mais le colonel qui passait pour bon garçon n’avait pas l’âme reconnaissante. Il était envieux des splendeurs d’une bienfaitrice qui les célébrait elle-même sans trêve et sans mesure. La garden-party annuelle était pour lui, sa femme et ses enfants, un plaisir merveilleux qu’ils n’eussent pas voulu manquer pour tout l’or du monde, mais un plaisir empoisonné par l’idée des joies d’orgueil qu’en tirait Mme de Saint-Euverte. L’annonce de cette garden-party dans les journaux qui, ensuite, après un récit détaillé, ajoutaient machiavéliquement : « Nous reviendrons sur cette belle fête », les détails com-