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JALOUSIE

risis. Déjà à l’instant, la similitude des saluts évanescents de la duchesse de Lambresac avec ceux des amis de ma grand’mère m’avait intéressé, en me montrant que dans les milieux étroits et fermés, qu’ils soient de petite bourgeoisie ou de grande noblesse, les anciennes manières persistent, nous permettant comme à un archéologue de retrouver ce que pouvait être l’éducation et la part d’âme qu’elle reflète au temps du vicomte d’Arlincourt et de Loïsa Puget. Mieux maintenant la parfaite conformité d’apparence entre un petit bourgeois de Combray de son âge et le duc de Bouillon me rappelait ce qui m’avait déjà tant frappé quand j’avais vu le grand-père maternel de Saint-Loup, le duc de la Rochefoucauld, sur un daguerréotype où il était exactement pareil comme vêtements, comme air et comme façons à mon grand-oncle, que les différences sociales, voire individuelles, se fondent à une distance dans l’uniformité, d’une époque. La vérité est que la similitude des vêtements et aussi la réverbération par le visage de l’esprit de l’époque tiennent une place tellement plus importante dans une personne que sa caste en occupe une grande seulement dans l’amour-propre de l’intéressé et l’imagination des autres, que pour se rendre compte qu’un grand seigneur du temps de Louis-Philippe ressemble plus à un bourgeois du temps de Louis-Philippe qu’à un grand seigneur du temps de Louis XV, il n’est pas nécessaire de parcourir les galeries du Louvre.

À ce moment, un musicien bavarois à grands cheveux que protégeait la princesse de Guermantes salua Oriane. Celle-ci répondit par une inclinaison de tête, mais le duc furieux de voir sa femme dire bonsoir à quelqu’un qu’il ne connaissait pas, qui avait une touche singulière, et qui, autant que M. de Guermantes croyait le savoir, avait fort mauvaise réputation, se retourna