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JALOUSIE

mariage en épousant le marquis de Citri dont l’arrière grand-mère était Aumale-Lorraine. Mais aussitôt cette satisfaction éprouvée, son caractère négateur lui avait fait prendre les gens du grand monde en une horreur qui n’excluait pas absolument la vie mondaine. Non seulement dans une soirée elle se moquait de tout le monde, mais cette moquerie avait quelque chose de si violent que le rire même n’était pas assez âpre et se changeait en guttural sifflement : « — Ah, me dit-elle, en me montrant la duchesse de Guermantes qui était déjà un peu loin de nous, ce qui me renverse c’est qu’elle puisse mener cette vie-là. » Cette parole était-elle d’une sainte furibonde, et qui s’étonne que les gentils ne viennent pas d’eux-mêmes à la vérité, ou bien d’un anarchiste en appétit de carnage ? En tout cas cette apostrophe était aussi peu justifiée que possible. D’abord, la « vie que menait » Mme de Guermantes différait très peu (à l’indignation près) de celle de Mme de Citri. Mme de Citri était stupéfaite de voir la Duchesse capable de ce sacrifice mortel : assister à une soirée de la princesse de Guermantes. Il faut dire dans le cas particulier que Mme de Citri aimait beaucoup la Princesse, qui était en effet très bonne, et qu’elle savait en se rendant à sa soirée lui faire grand plaisir. Aussi avait-elle décommandé, pour venir à cette fête, une danseuse à qui elle croyait du génie et qui devait l’initier aux mystères de la chorégraphie russe. Une autre raison qui ôtait quelque valeur à la rage concentrée qu’éprouvait Mme de Citri en voyant Oriane dire bonjour à tel ou telle invité, est que la Duchesse, bien qu’à un état beaucoup moins avancé, présentait les symptômes du mal qui ravageait Mme de Citri. On a du reste vu qu’elle en portait les germes de naissance. Enfin certaines qualités aidant plutôt à supporter les défauts d’autrui qu’à en