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JALOUSIE

dia M. de Charlus avec l’air d’hésitation et de froideur de quelqu’un qui se laisse arracher une politesse.

« — Arnulphe, Victurnien, venez vite », dit Mme de Surgis. Victurnien se leva avec décision. Arnulphe, sans voir plus loin que son frère, le suivit docilement.

« — Voilà le tour des fils, maintenant, me dit Robert. C’est à mourir de rire. Jusqu’au chien du logis, il s’efforce de complaire. C’est d’autant plus drôle que mon oncle déteste les gigolos. Et regarde comme il les écoute avec sérieux. Si c’était moi qui avais voulu les lui présenter, ce qu’il m’aurait envoyé dinguer. Écoute, il faut que j’aille dire bonjour à Oriane. J’ai si peu de temps à passer à Paris que je veux tâcher de voir ici tous les gens à qui j’aurais été sans cela mettre des cartes.

« Comme ils ont l’air bien élevés, comme ils ont de jolies manières » était en train de dire M. de Charlus. « Vous trouvez ? » répondait Mme de Surgis, ravie.

Swann m’ayant aperçu s’approcha de Saint-Loup et de moi. La gaieté juive était chez Swann moins fine que les plaisanteries de l’homme du monde. « — Bonsoir, dit-il à Saint-Loup et à moi. Mon Dieu ! tous trois ensemble, on va croire à une réunion de syndicat. Pour un peu on va chercher où est la caisse ! » Il ne s’était pas aperçu que M. de Beaucerfeuil était dans son dos et l’entendait. Le général fronça involontairement les sourcils. Nous entendions la voix de M. de Charlus tout près de nous : « Comment, vous vous appelez Victurnien, comme dans le cabinet des Antiques », disait le baron pour prolonger la conversation avec les deux jeunes gens. « De Balzac, oui », répondit l’aîné des Surgis qui n’avait jamais lu une ligne de ce romancier, mais à qui son professeur avait signalé, il y avait quel-