Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/178

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rence que la croix rouge, qui accrédite d’ordinaire celles qui le portent, était ici remplacée par un T, brodé en soie verte sur la blouse, à l’endroit du cœur. Ma garde présentait encore ceci de notable que, sous sa coiffe coquette, ses cheveux étaient coupés court, à ras du cou, ce qui lui donnait je ne sais quelle équivoque physionomie garçonnesque. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut la particularité de son regard. Autant qu’on peut raconter une chose aussi confuse et aussi indéfinissable que les antécédents d’un regard, c’est-à-dire tout ce que ce regard a récolté et conservé des enseignements de la vie, et lui laisse une expression indélébile de gravité, de prudence et de sagesse, tout cela, mon infirmière le reflétait dans le miroir de ses yeux. J’y ai beaucoup pensé depuis, à ce regard de mon infirmière.

Elle épiait évidemment mon réveil. Aussitôt qu’elle en constata les lueurs, elle passa sur mon front une fine éponge imbibée d’un alcool parfumé. Elle accomplissait ce geste avec la solennité d’un baptême ; mais elle me toucha plus encore par la façon compatissante dont elle prononça les premiers mots que j’entendisse :

— Vous aussi, pauvre enfant !... Vous aussi, vous allez connaître le destin de la transmutation...

Et comme j’allais l’interroger sur ces paroles énigmatiques, elle me ferma la bouche d’une main douce et terme à la fois :

— Non ! ne parlez pas encore... ne pensez même pas !... Les pensées vous viendront assez tôt... Attendez un instant... attendez sa visite... c’est lui qui vous expliquera...

Puis elle me laissa pour aller se poser devant la fenêtre et s’y examiner longuement, à l’aide d’une glace portative. J’eus l’idée confuse qu’elle n’obéissait pas à un sentiment de coquetterie. Rien en sa personne n’en donnait l’impression. Elle sem-