Page:Les Œuvres libres, numéro 7, 1922.djvu/205

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drez à la maison, souvent, souvent. Vous connaîtrez mon mari. C’est un homme un peu froid… mais il sera aimable avec vous : il aime les jolies femmes !…

Et me pressant tendrement les mains : — Voulez-vous que nous devenions des amies ?

— De grand cœur, Rolande, répondis-je avec élan.

— C’est ça, dites-moi : Rolande, et je vous dirai : Georgette. À bientôt.

Elle emportait ma réalité… Hélas ! je retombais dans le fantastique avec celui qui lui succéda. Il me faudrait bien des lignes pour traduire la diversité de mes sentiments à cette première entrevue avec M. Robert de Lieuplane. C’était un seigneur d’environ trente-cinq ans — mon âge, en fait, si je n’avais pas été rajeuni par le maléfice de Tornada — qui adoptait sans distinction une barbe claire et un costume à la dernière coupe. C’est tout ce que j’en distinguai d’abord, tant j’étais troublé ; j’eus plus tard le loisir de remarquer d’autres particularités que je conterai. Il semblait de parfaite santé et sur cette physionomie eucrasique se greffait un sourire désenchanté, dévoilant une jolie denture. Fût-ce son air triste, fût-ce ma nouvelle sensibilité : je me sentis pris pour lui d’un mélange à la fois de défiance et de sympathie irraisonnée, deux sentiments incompatibles et que cependant j’éprouvais concurremment.

Il portait une gerbe de fleurs qui semblait l’embarrasser à tenir en même temps que sa canne et son chapeau de feutre gris. Il déposa les uns et les autres sur une console et s’assit gravement dans une bergère sans y être convié. Je ne pus que l’imiter.

— Que désirez-vous, monsieur ?

— Vous devez le savoir.

— Je ne sais absolument rien.