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Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/171

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fois elle relevait un pan de sa tunique pour se préserver des pierres ; on voyait la pointe de ses seins jeunes trembler comme une flèche qui palpite en pénétrant dans une porte de bois ; et l’on n’eût su dire si c’était d’amour, ou de peur.

Fidèle au système judiciaire qui lui avait réussi la veille, Pérégrinus, avant d’interroger ces prisonniers, entrant avec eux dans le cœur du procès, voulait en finir avec les prévenus libres : il pensait les trouver aussi faciles à manier que la veille. Le hasard, aidé sans doute par Velléius, en décida autrement. Il y avait à Corinthe un groupe assez important de chrétiens donatistes, originaires de la province de Numidie. Pour ces exaltés, d’accord en cela du reste avec les orthodoxes, le martyre, ou plutôt, comme ils l’appelaient, le baptême du sang, les devait rendre pour l’éternité les compagnons célestes du Crucifié, les unissant à lui dans une gloire presque égale, en vertu d’un sort pareil. Ils n’aspiraient donc qu’au martyre, ils en étaient comme affamés.

Devant Pérégrinus ils frémissaient d’impatience. Peut-être aussi une haine séculaire animait-elle contre Rome ces Africains. Se regardant entre eux, ils ricanaient : « L’Empire ? De quel droit veut-on nous imposer les lois de l’Empire ? Il n’y a d’Empereur que Christ ! » À l’interrogatoire bienveillant de Pérégrinus, ils ne répondirent que par des cris et des injures.

— Nous sommes chrétiens ! Nous sommes chrétiens ! Jette-nous à la torture ! Fais-nous mourir ! Nous sommes chrétiens !

Cependant Onésime, et avec lui tous les « anciens », tous les chrétiens même des Ecclesiæ régulières, les considéraient avec horreur. L’évêque interpella Pérégrinus :

— Seigneur, ils ne sont pas chrétiens. Ils mentent : nous les renions !