Ce qu’il faut ajouter, c’est que Mme de Chateaubriand fut malade presque toujours. La bonté compatissante de son mari, ses soins délicats, son dévouement inlassable, la jetaient dans une admiration pleine d’attendrissement. S’il ne fut pas un modèle d’époux, au moins fut-il, pour sa frêle et douloureuse compagne, une perfection d’ami.
« Le bon chat est à la messe » écrivait-elle à Joubert, qui avait reçu toutes ses confidences ; « j’ai peur quelquefois de le voir s’envoler vers le ciel [comme un ange] ; car, à la vérité, il est trop parfait pour habiter cette mauvaise terre. Quels soins il m’a prodigués pendant ma maladie ! quelle patience ! quelle bonté ! »
Le joli mot enthousiaste, que traverse manifestement un sourire où il y a de l’ironie un peu, et du pardon beaucoup, et de l’amour infiniment, s’appliquerait aux quarante-trois années de leur vie commune, « M"* de Chateaubriand est malade… Je reste auprès de ma pauvre malade… Je soigne Mme de Chateaubriand » ; ces phrases, et telles autres, reviennent dans la correspondance de Chateaubriand comme une sorte de refrain. Quand ils étaient séparés par quelque voyage de l’un ou de l’autre, il lui écrivait tous les jours ; et ses lettres ou billets étaient de toute amabilité:« Ma chère petite, lui disait-il… j’ai travaillé pour que nous soyons riches comme des puits ; fais bombance et n’économise pas sur les dîners. Ta longue lettre d’hier m’a fait rire au milieu de mes bois [Versailles]. »
Elle, de son côté, exerça sur son mari une influence politique dont je ne sache pas que personne ait parlé, et qu’il faudra bien quelque jour étudier. Cette influence sur la tendance de ses écrits et sur ses déterminations les plus graves fut constante et très grande ; d’aucuns seront portés à la trouver excessive; mais nul ne s’avisera de la contester, pas plus que sa collaboration aux Mémoires d’Outre-tombe.
Une seule lettre suffira pour montrer que, dès i8i5, les ambitions de Chateaubriand étaient stimulées, voire suggérées et, pour ainsi dire, commandées par la compagne de sa vie.
