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Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/111

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Pauvre cité qui te meurs ! quel est l’enchanteur qui t’a enfermé dans un cercle fatal, qui t’a dépeuplé avec sa baguette, qui rend tes murs si moussus et qui a gravé tant de rides sur tes édifices ? Ah ! maudit soit l’art infernal qui ne t’a pas sauvée et qui ne m’a pas sauvé ! Et, moi aussi, j’ai dominé sur toi comme tu as dominé sur le monde. Tous ces palais, tous ces toits, toutes ces chaumières n’ont point eu de secrets pour moi. De ce poste élevé, d’où je leur jetais mon mépris, j’ai tenu dans mes mains les fils qui faisaient mouvoir ces automates à cœur vide ; j’ai jeté la pomme de discorde dans leurs fêtes. Sous les lambris, sous le velours et la soie, comme dans les haillons de la misère, j’ai vu leurs passions honteuses et j’y ai mis la main. J’ai remué cette boue avec dégoût. Tous ont monté, à quelques heures de la nuit, l’escalier de cette tour solitaire et se sont humiliés devant le vieillard, objet de leurs sarcasmes. Qu’ai-je retiré de tout cela ? où m’a mené cette science sublime ? Tu me jettes ta froide lumière entre deux nuages, antique Saturne. Est-ce pour me dire que, comme toi, j’ai dévoré mes enfants ? Hélas ! le siècle où nous vivons a de tristes présages. Le feu s’éteint sur l’autel, la voûte du temple, en s’écroulant, ensevelira bientôt le dernier des prêtres sous ses ruines, au milieu des arcanes brisés. La lassitude me gagne ; je suis vieux, bien vieux. Je vois le sud aussi sombre que le septentrion, et les astres qui se lèvent à l’orient sont aussi tristes que ceux qui se couchent à l’occident. Adieu à vous tous, mes frères, qui êtes dispersés sur la surface du globe ! J’irai bientôt vous visiter dans vos songes, car je sens que ma fin vient à grands pas. »

Cependant l’orage s’approchait. Le vent mugissait autour de la Specola et la pluie commençait à tomber avec abondance. Des coups de tonnerre, sourds et prolongés, se faisaient entendre dans la direction de Venise. Tandis que le vieillard contemplait ce spectacle imposant, abîmé dans ses pensées lugubres, un pigeon vint s’abattre à ses pieds, comme effrayé