Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Quand j’étais à Florence, au théâtre de la Pergola, reprit la jeune actrice, parmi les admirateurs les plus zélés de mon talent était le comte Arriani qui venait me visiter chaque jour. Tout en rendant justice à ses qualités élevées, je ne reçus qu’avec froideur ses empressements, car il y avait dans son caractère quelque chose de sombre qui m’effrayait. Il me reprochait quelquefois ma légèreté.

— C’est vrai, répondais-je, je suis comme le papillon ; mais vous êtes comme le sage oiseau de Minerve qui en a pour tout un jour de la même idée. – Il lui arrivait souvent de rester absorbé dans ses pensées, pendant une conversation, ou au milieu d’une promenade en caratelles. – Octavio rêve, disaient les autres jeunes gens, et ils continuaient à se divertir sans s’occuper de lui davantage. J’aimais à le tirer de ses distractions en lui donnant un coup d’éventail sur le nez.

Une circonstance imprévue aurait dû me révéler l’empire qu’Octavio devait prendre plus tard sur ma volonté. Un jour que nous nous promenions seuls sous les grands bois qui couvrent les bords de l’Arno, je me mis par hasard à chanter une cantilène populaire dont je disais les notes sans en prononcer les paroles. Octavio m’accompagna d’une voix de basse magnifique, dont le timbre pur et mordant vibrait dans mon âme, en me faisant éprouver une sensation de plaisir presque voisine de la peine. Je continuai en recommençant vingt fois le même air, auquel se mariait toujours sa voix grave et harmonieuse ; il me semblait que je ne pouvais m’arrêter, pareille à la valseuse que son danseur emporte malgré elle, jusqu’à ce qu’enfin je tombai d’épuisement. Depuis, je le priai souvent de chanter ; mais il n’y voulut consentir que rarement et seulement quand nous étions seuls.

Cependant je m’amusais plus des singularités d’Octavio que je n’y réfléchissais. Le temps vint où je dus partir pour Vienne, à la fin de mon engagement avec l’impresario de Florence. Tous les jeunes gens élégants que je recevais chez moi m’assurèrent