Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/180

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^22 I.F-S COLLECTIONNELRS.

iMaiiiles fdisje me suis trouvé (enlé du désir de la collecliou. et, sans avoir eutièrenient succombé h celte tentation, je dois dire cependant que j'ai assez approci>é de mes lèvres la coupe de ses enivrements pour en connaître les voluptés, pour être initié a ses plus seciets mystères.

J’ai connu, j’ai vu de près messieurs les collectionneurs, jai surpris leurs mœurs et leurs habitudes en (lasrant délit d’oria ;inalité. et ma mémoire est pleine de souvenirs que je vais faire passer "a l’état de révélations. Comme en toutes choses il faut procéder méthodiquement, je dirai d’abord que l’on distiniîue trois sortes, trois espèces de collectionneurs : La première est celle du collectionneur inculte et sauvage, sale et débraillé des pieds a la tête , aux ongles noirs, à la barbe râpeuse, aux cheveux hérissés, au chapeau entièrement défoncé, aux poches énormes et toujours pleines. Cette espèce est celle du collectionneur pHr-siiufj, du collectionneur |i,ir amour de la collection, La seconde comprend tous ces négociants de bonne compagnie , tous ces trafiquants en curiosités, ces marchands d’habits galons a équipages armoriés ou non armoriés, qui se donnent les manières, le langage, les habitudes du véritable collectionneur, et qui cependant ne font que placer leur argent jilus ou moins avantageusement , suivant le gain de leur revente, suivant la balance de leur compte de banque,

La troisième espèce de collectionneurs est celle du coUeclionneur fashionable , de celui qui s’est fait collectionneur, pour obéir h la mode, pour avoir comme tout le inonde , un salon Louis XV, un boudoir Uenaissance, et une salle à manger guatorz’icme siècle, avec quelques lames de Tolède, quelques targes. deux ou trois hallebardes, un casque de ligueur, un hanap dans lequel il boit lorsqu’il se trouve en présence de ses amis, quelques cruches flamandes en grès bleu et gris, et trois vitraux interceptant le soleil, et ne laissant passer a travers la fenêtre qu’une lumière jaune, rouge ou bleue, qui lui piêlc la mine d’un liomme atteint par la jaunisse, la fièvre scarlatine ou le choléra-morbiis, ]>our peu qu’il se trouve sur le passage d’un des rayons du soleil déguisé, qu’il laisse parvenirjusqu’à son fauteuil. Tout collectionneur rentre nécessairement dans une des trois classes que je viens d’indiquer : le collectionneur fou , le collectionneur brocanteur, et le collectionneur par mode.

Parmi les collectionneurs fous, les poètes du genre, le plus renommé est un petit vieillard sec , ridé, râpé , retapé , enveloppé d’une sorte de grande redingote brunâtre, la tête recouverte d’une clcincnline de soie noire, par-dessus laquelle se prélasse un énorme chapeau de couleui- douteuse, gras des bords, gras de la forme, gras du galon , gras de la coiffe, gras de partout , et qui , depuis trente ans, assiste régulièrement avec son maitrc a toutes les ventes , se promène avec lui , quelque temps qu’il fasse , sur les quais et chez tous les marchands de bric-à-brac. Ce chapeau et cet homme sont connus sous le nom de M. de Menussard. Eh bien ! ce chapeau et cet homme, ce ^I. de Menussard. en un mot, possède une très-magnifique collection de porcelaines de Sèvres, pâle tendre ; chez lui, dans ses armoires, dans ses coffres, dans ses étuis, sont enfermés, comme dans un tombeau ,