Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/246

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nti LE MELOMANE.

Celui qui psalmodie tous les cliauls trisles ou gais sur un seul et mémo air de sa farou, lequel ne varie jamais : — èlrc monotone, fastidieux. Dans certains cas, l’observation doit être prise à l’inverse ; car quelquefois on peu ! dire que le chant comme la parole « a ctë donné à l’Iiomme pourdéiiuiser sa pensée. » Ainsi tel qui cultive de préférence l’air de bravoure : En dvanl, marchons contre les canons, ou la marche des Tarlares ; celui qui, dans chaque couplet, pourfend les ennemis de la France et meurt pour son pays, celui-là, disons-nous, peut n’être qu’un bravache et un poltron, lit, pour citer un exemple pris dans un autre «cure, on se rappelle que la romance : // pleut, il pleut, bergère, fut composée par le vieux cordelier Camille Desraoulins, qui, certes, était loin d’être pastoral. Passons maintenant au choix des instruments, comme indice de caractèi-e. La trompette, le trombone, le cor et la trompe de chasse : — jeune homme bruyant, étourdi, tapageur ; caractère cnquin de neveu ou officier de hussards d’opéracoraique.

Celui qui cultive les instruments de remplissage, lesquels jouent dans un orchestre les rôles qu’on appelle au théâtre (jrande utilité, tels que le Iriaugle, la grosse caisse, le chapeau chinois ; celui-là doit être un bon et simple garçon, sans prétention aucune, toujours disposé à rendre service à son prochain. Le basson : — caractère concentré.

La clarinette : — esprit peu poétique, tournant à l’épicerie. La contre-basse : — indice de maturité ou plutôt de décrépitude. Kegardez en effet dans un orchestre : il est très-rare que l’on n’aperçoive pas au-dessus du long manche de cet instrument une perruque à frimas, et un nez qui, comme celui du père Aubry, aspire à la tombe.

Le choix de la harpe indique une femme jolie et coquette, attendu qu’elle fournil l’occasion de déployer un bras bien fait, une taille élégante, et que les pédales metlenl en évidence un pied mignon. Aujourd’hui cet instrument est presque généralement abandonné. Nous sommes trop galants pour y voir une preuve que les types de perfection féminine sont devenus plus rares ; de même que la renonciation à la mode des culottes courtes a été citée comme un aveu tacite de la décadence des mollets contemporains.

La femme qui empiète sur les inslrumcnls spécialement réservés aux hommes, cl qui, par exemple, joue du violon, de la lliite ou de la contre-basse, a, pour l’oidinaire, une allure de caractère masculin et un soupçon de moustaches. Si elle est mariée, elle intervertira le fameux article 215 du Code civil, relalivement à l’obéissance conjugale.

Vice versa, l’homme qui pince de la harpe ou de la guitare doit, au besoin, fiiire de la tapisserie et ourler des cravates.

Si l’on adoptait généralement notre système d’observation mélomane, il faudrait dire à un de ses semblables non pas : « Dis-moi (pii tu hautes, » mais .< dis-moi ce que tu chanles, et je te dirai qui (u es. »

Albert Cler.