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LES RAVAGEURS

précieux. Vous croyez, enfin, que les plantes alimentaires nous sont venues dans le principe telles que nous les possédons aujourd’hui.

Jules. — Comment ! Le chou pommé n’a pas toujours été le chou pommé ? le poirier n’a pas toujours produit des poires beurrées ?

Paul. — Non, mon enfant. La plante, telle qu’elle vient naturellement, est pour nous une triste ressource alimentaire ; elle n’acquiert de la valeur qu’en passant par les mains de la puissante fée qui a nom industrie humaine ; sous la baguette de la sublime magicienne, c’est-à-dire par nos soins, les espèces se modifient jusqu’à devenir méconnaissables.

Dans son pays natal, sur les montagnes du Chili, la pomme de terre est un tubercule vénéneux de la grosseur d’une noisette. L’homme donne accueil dans son jardin au misérable tubercule ; il le plante dans une terre substantielle, il le soigne, il l’arrose, il le féconde de ses sueurs. Et voilà que, d’année en année, la pomme de terre prospère ; elle gagne en volume, en propriétés nutritives, et devient enfin un tubercule farineux de la grosseur des deux poings.

Sur les falaises océaniques exposées à tous les vents, croît naturellement un chou, haut de tige, à feuilles rares, échevelées, d’un vert cru, de saveur acre, d’odeur forte. Qu’attendre de ce sauvageon ? Il n’a certes pas bonne mine. Qui sait ? Sous ses agrestes apparences il recèle peut-être de précieuses aptitudes. Pareil soupçon vint apparemment à l’esprit de celui qui le premier, à une époque dont le souvenir s’est perdu, admit le chou des falaises dans ses cultures. Le soupçon était fondé. Le chou sauvage s’est