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LES RAVAGEURS

Paul. — Avec ces douleurs d’entrailles dévorées, les chenilles pourtant continuent de manger comme si de rien n’était ; les satisfactions de l’estomac leur font oublier la souffrance, tant pour elles est impérieux le besoin de manger. Et puis les vers mettent une certaine réserve dans leurs ravages ; voici pour quel motif.

Dans le corps de tout animal se trouvent des organes plus indispensables que d’autres au maintien de la vie ; pour peu qu’ils soient blessés, la mort survient. Tels sont le cœur et le cerveau chez les animaux supérieurs. Dans le corps d’une chenille, il n’y a pas, il est vrai, de cœur et de cerveau semblables à ceux des animaux supérieurs, mais il y a des organes analogues, tout aussi nécessaires à l’exercice de la vie. Si les larves de l’ichneumon, en fouillant les entrailles de leur victime, venaient à blesser ces organes essentiels, la chenille périrait rapidement ; les larves périraient aussi, car il leur faut des vivres frais, et non de la chair corrompue. Il y va de leur vie si les vermisseaux donnent un coup de dent mal à propos. La chenille doit vivre pour les faire vivre, elle doit prolonger sa douloureuse existence jusqu’à ce qu’ils soient prêts pour la métamorphose. Les vers qui rongent les entrailles de la chenille respectent donc scrupuleusement tout organe indispensable au maintien de la vie et se nourrissent du reste ; guidés par la science infuse de l’instinct, ils distinguent admirablement ce qu’ils peuvent attaquer de ce qu’il faut laisser. Un jour vient néanmoins où, n’ayant plus de réserve à garder à cause de l’approche de la métamorphose, ils dévorent ce qu’ils avaient respecté